Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

lundi 31 juillet 2023

LE CHEMINEAU

« Le soleil est partout, nous dit le sage,
Et pas seulement qu’au bout du voyage ! »
C’est pour ça que, moi, j’use les chemins
Qui mènent, cahin caha, vers demain
Où, dans le clair matin, je vagabonde
Et erre au soir sous des nues floribondes.

Je suis et je reste un buveur de pluie ;
Sous les soleils pâles et nains de la nuit,
Je rode par les routes empoussiérées
En nomade condamné à errer…
« Le soleil est partout, nous dit le sage,
Et pas seulement qu’au bout du voyage ! »

samedi 29 juillet 2023

LA DEMOISELLE & LA TORTUE

Petite fable affable

Une libellule paradait,
Virevoussant farfadet,
En mare. Belle entre les belles,
Elle virait, virevoltait
Pour mieux faire luire ses ailes,
Et briller toute sa beauté.

Elle n’était que pirouettes
À vous faire tourner la tête…
Elle gravitait tout autour
D’une tortue sans atours :
« Va ! Tournaille !… Un bijou se montre :
Qui viendra dire qu’il est contre ?…
Quand on n’est qu’éclat, il faut oser
Aller et venir : tournicote ! »
Disait, le cou ankylosé
À suivre son vol, la bigote
Fort carapacée, harassée.

Or, voir toupiller l’agaçait,
Elle et son appétit. Parole,
Ce n’était pas un manège drôle !
L'ailée la berce de mots…
- Ce qu’ils sont sots, les animaux ! - 

Donc ce beau ballet la fatigue.
Eh, c’est que c'est crevant la gigue !
Et donc elle se pose au dos
De l’amie qui joue les badauds ;
Puis repart aux airs sans hâte
Pour se reposer… sur son bec. Patate !
Pourquoi ?… Car mots aventurés
Haut n’étaient plus que murmurés !

L’oeil goulu, le verbe stratège,
La happe la lourde Pallas
Car être belle ne protège
De rien… Bien au contraire. Hélas !

jeudi 27 juillet 2023

LÀ-BAS

Cycle toulousain

Au pays de mes pères,
Sans l’ombre d’un repère,
Les champs avaient des cheveux d’or,
Les prés regorgeaient de trésors
Et, sur eux, voguait l’aile
Du pic, de l’hirondelle.
Le ciel posait ses yeux d’azur,
Le vent avait un souffle pur
Sur de noirs labourages,
De verts pâturages,…

Au pays de mes pères,
Moins terre que repaire,
Dans la douceurs des soirs d’été,
Au ciel de lit de la voie lactée,
On rêvait d’abondance.
Sûrs de la Providence,
Ici où là, quelques bosquets
D’arbres restaient bien embusqués.
C’était temps de cocagne
Dans ce coin de campagne…

Au pays de mes pères,
Naguère si prospère,
Il n’est plus que cris de motos
Ou de paissants troupeaux d’autos,
Trottoirs et bitume.
Dans un air qui tant fume
Des bois noirs de tours en béton
Sous un ciel gris donnent le ton :
L’air n’y gonfle de voile,
Le néon pour étoiles…

mardi 25 juillet 2023

NE FAISONS PAS LES CHOSES À DEMI

Petite fable affable

Malgré de brillantes études cher payées
Dans la grande école privée des groseilles,
Un rossignol ne parvenait pas à chanter juste,
N’ânonnant que des airs faux, des mélodies frustes.
Mais son père barytonnait par les fourrés
En maître. Aussi donna-t-on à son demeuré
De fils le titre de Grand Maître es-vocalises
Et le droit d’édifier les jeunes à sa guise.

Hélas, notre promu était frivole et sot,
Ne trouvant à errer sous sylvestres arceaux
Que de temps à autre. Vitement. Et encore…
Le temps de toucher le bon prix que les pécores
Voulaient bien lui donner pour un travail jamais
Fait, pour une œuvre qui ne saurait les charmer.

Philomèle, qui ne se donnait même pas la peine
D’être poli, s’attira, à force, la haine,
Des oiseaux vraiment chanteurs de tout son quartier.
Il le sut et s’en offusqua. C’est un métier
Que le sien, auquel ces Béotiens n’entendent
Rien. Pour les punir et pour les mettre à l’amende
Il démissionna. Par les halliers et fourrés,
On jubila sans fard quand on sut son arrêt !

Mais le rossignol réfléchit à son affaire :
C’est pas mal que d’être payé à ne rien faire !
Il veut retrouver son poste mais un pinson,
Jà, le remplace dont la première leçon
Dit que l’ennemi de l’Incompétent, bohème,
N’est ni le Sérieux, ni le Jaloux… mais lui-même !

dimanche 23 juillet 2023

VULGAIRE

Je suis soldat faisant son métier
La fin justifie les moyens. Guère
De discussions. Pas de quartier.
Le victimes sont moutons grégaires
Alors j’occis, j’écrase et je razzie.
Que m‘importent hourras ou lazzis,
Je fais mon devoir car je suis un homme,
Un de ceux, oui, qui bâtirent Rome :
Moi jamais je n’ai trahi.
Ni reculé. Ni failli.

Je suis soldat sachant son métier
Et l’immuable loi de la guerre :
Jamais de peur ; jamais de pitié !
Je suis comme mes pairs de naguère :
Je torture, je pille et je tue.
Sans état d’âme. Tout m’est fétu.
Le civil comme la soldatesque.
Que me reproche-t-on ?… Est-ce que
C’est d’avoir bien obéi ?
D’avoir servi mon pays ?

vendredi 21 juillet 2023

FACE AU FAUVE INSATIABLE

 Petite fable affable

Le hasard est roi et le mystère est son cousin.
Quittant l’amère Patrie, un loup que les argousins
Avaient navré à mort, fuit par le monde
Car la fin, on le sait, fait sortir le loup du bois ! 

Il errait donc, mal allant, avec plus de poil immonde
Que de chair pour trouver un havre, du pays burgonde
À la Gironde, où il ne serait pas aux abois.
Il croise alors un trio de la pire engeance.

Le porc dit : « C’est le loup, le fauve des sous-bois.
On dit qu’hélas, il croque chair et sang boit ! »

Sa compagne, une brebis, fait : « D’intelligence
Dotés, nous devrions en effet nous interroger.
Avant que de fuir, se peu avec diligence.
Mais y a-t-il péril en la demeure ? Urgence ? »

La vache complètant l’équipe, sans abréger
Son mâchement, semble songer, elle, à la chose.

Dépenaillé, ce loup n’est pourtant pas étranger
Aux Belles Lettres : « Dieu, sans vous ménager
Vous illustrez Aristote qu’on dit plus épeautre
Que blé de nos jours, quand il disait, point en censeur
Mais plutôt en humble faiseur de bons apôtres :
L’ignorant affirme quand le savant doute et, l’un dans l’autre,
                                        Le sage réfléchit ” 

                            - Référence courtoise, va-nu-pieds ! »
Fait l’ovin alors que le bovin, encore, mastique
En silence. Le cochon rajoute : « Sans être casse-pieds
Un vil flatteur en guenilles, même estropié
Est pire qu’une armée en déroute ! À vos mots je tique,
Animal improbable sur qui je ne miserais nul écu ! »

Ce loup, affamé à en bouffer ses propres tiques,
Ne tient plus devant ces trois gros causeurs caustiques
Et leur saute dessus, tout à fait convaincu
Qu’ils auront fui avant que son croc un seul n’en saigne.

Pourtant il écrase ces trois peigne-cul
Qui n’ont compris que, face au danger, le tire-au-cul
Soit-il, las, ignorant, savant ou sage daigne
Par trop s’écouter plutôt que remuer le bousin !

mercredi 19 juillet 2023

LA SAVEUR DES PREMIÈRES LUEURS

Illustré par une photo de M.-Y. Custeau, le 24 juillet 2023

C’est l’instant où le jour, vainqueur, tout auréolé
De lumière, le dispute à la nuit qui s’ensauve
Mais ne veut s'avouer vaincue, et en milles alcôves
Aux abois, s’accroche à une pénombre envolée.

C’est l’instant où la nuit se réfugie, affolée
Dans les ombres pour mieux survivre à une aube fauve,
Pour lutter contre l’or, et le carmin, et les mauves,
D’un petit matin déjà prêt à batifoler.

C’est le moment où, dans les débris d’un lourd silence
La Nature bruit et alors s’éveille à la vie
Sous un ciel tout neuf dont le feu lui fait violence.

C’est le moment où la Magna Mater n’est qu’envies,
Sève née des doux rêves qu’offre cette indolence
D’un semis d’étoiles parti, las, sans préavis.



lundi 17 juillet 2023

LA VÉRITÉ & LE MENSONGE

Petite fable affable

D’aventure, la Vérité et le Mensonge
Se rencontrent un jour. Ce n’est pas là un songe…
Le second dit à la première : « Il fait
Très beau aujourd’hui ! » Et surprise. Oui, en effet,
C’était bien le cas. Alors les rivaux prolongent
Une balade ainsi placée sous l’égide des fées.

Nos nouveaux amis, devant quelque puits, arrivent
Le Mensonge dit à la Vérité : « L’eau vive
Est des plus agréables par un temps pareil, 
Baignons ensemble et séchons-nous au soleil ! »
La deuxième, méfiante touche l’eau. Miracle,
Elle est fort tentante et, encore, aucun obstacle
Ne s’oppose aux ablutions improvisées.
On se déshabille et on plonge sans autre visée.

Mais d’un coup, le Mensonge sort de l'eau, s’habille
Avec la tenue de la Vérité, s’enfuit, bille
En tête. La Vérité, furieuse, sort du puits 
Et court donc, nue, après le Mensonge, icelui
Courant par le Monde vêtu de la tunique
Immaculée de l’autre, vêtement unique,
Satisfaisant aux besoins de la société
Et aux envies de qui tant aime à l’habiter.

L’une et les autres, avec mépris ou avec rage,
Détournent le regard à voir, suprême outrage,
La nudité de la Vérité qui, au puits,
Retourne et s'y terre, toute honteuse, depuis
Que le Mensonge voyage partout et toujours
Dans les beaux habits blancs qu’il vola un beau jour.

Quand on vous dit que « l’habit ne fait pas le moine », 
Précisez que la natureté n’est pas folle avoine !

samedi 15 juillet 2023

HOMMAGE AGRAIRE

Il est des croquants dont le parler appellent un sous-titre
De ces frustes vilains qu’on ne voient, hélas, que sous-fifres
Brutaux dans les mots mais solidaires dans les maux,
Les travaux et les jours, des bouseux jamais grimauds,
De ces gens de peu dont l’esprit jamais ne se hausse
Au-delà d’une sagesse populaire fausse,
Pour qui la lune est de métal et le soleil, Lison,
Promesse de fumier fumant et de foin à foison.

Ils étaient de ces cul-terreux cafards, ces ploucs sans lustre
Et sans autre avenir que de finir aussi rustres
Que leurs pères, les mains crispées et les doigts noueux,
Usés avant leur âge, malicieux ou pagailleux,
Par le travail fastidieux et ingrat de la glèbe.
Ils étaient, non de vos foules, mais de l’humble plèbe
Pour qui le tonnerre était marque du divin courroux
Et le beau temps cadeau qu’on paierait, un jour. Peu ou prou.

Ils étaient manants, gens d’être non de paraître,
Rustiques parce que le destin les a fait naître
Glaiseux mais bonhommes sachant la valeur d’un denier.
Leur vie était avare de sous, même rognés.
De ces gens simples qui se savaient de leur cambrousse,
Qui vivaient au frugal le village et ses secousses,
Me hante le souvenir : ces métayers étaient miens,
Comme je suis d’eux. C’est richesse des gens de rien.

jeudi 13 juillet 2023

LE PUTSCH DES PERRUCHES

Petite fable affable

Dans un pays d’Asie, lointain pour faire court,
Des perruches, sottes coquettes hantant ces cours
- Il y a tant de Narcisse, de Tartuffe 
Et d’Iznogoud, bref d’indispensables truffes -,
Pas plus utiles au trône que nécessaires au pays,
 S’ennuyaient à pérorer et caqueter leurs saillies.

Ces oiselles ne médisaient de la souveraine
Car Sa Gracieuse Majesté l’était peu  : 
Et pour tout dire, d’une orientale reine
On ne dit de mal qu’à ses dépens et, sirupeux,
De bien qu’avec crainte. J’vous dis pas la migraine !

Nos jacasseuses donc décident, un beau matin,
De comploter sans faire plus de baratin.
Là. Comme ça. Comme, dit-on, prendrait à l’Homme
L’envie de pisser. Oui. Mais hélas, ces pauvres pommes,
Tourbe de courtisans oiseux, d’oiseaux causeurs
Étaient par trop brouillons, braillards et, pis, jaseurs.

Elles ne savaient rien des ruses que supposent
Ces semées, du secret des conspirations
Réussies. La monarque espionne sans pause
Ses proches, craignant fort ces conjurations :
Éventant la cabale, elle met un terme à ces choses.

Les mutinées démasquées qui voulaient dépêcher
Ou navrer la reine mais ne l’ont que fâchée
Finirent dans l’arène. À ces si maladroites
Intrigantes, la souveraine plus que jamais droite,
Déclara avant le tourment réservé au commun :
« Là où il y a une volonté, il y a un chemin* ! »

* Lao Tseu cité souvent par F. Mitterand.

mardi 11 juillet 2023

ELLE ÉTAIT BELLE…

Elle était belle comme une fée, comme une nymphe,
Pour qui n’avait pris l’Avenue Troussenonain
Ou l’impasse de Derrière, ignorantins
Des choses qui ont plus de sève que de lymphe ;
Elle était belle à se faire de nous aimer
Et se donnait, sans compter mie, de mai à mai.

Elle était belle à rendre furies tous les corsages.
Ça lui valait la chamaille de nos Ninon
Et la criaille qui celles qui disaient « Non ! »,
Gardant au chaud pour leur « futur » leur corps sages.
Cette Belle, toutes les filles la jalousaient :
L’un nous aurait pu avoir envie de l’épouser !

Elle était belle sans calcul et sans artifice,
Aux yeux de qui avait regard sans fausseté ;
Léger et ployable roseau, décorsetée,
Libre, le vent des plaisirs faisant ses délices.
Oui, elle était belle à tous les hommes damner
Alors ces bonnes âmes l’ont, las, condamnée.

Elle était belle, sans fausseté et sans finesse,
Pour les époux vivants Rue des Fesses Fanées,
Pour les maris gîtant Hôtel des Culs Tournés
Qui auraient voulu changer, un temps, leur adresse,
Belle à toutes les bonnes dames remplacer
Alors, à coups de pierres, elles l’ont chassée…

dimanche 9 juillet 2023

LE RECLUS

Petite fable affable

Un poète fut encachoté.

Non pour un pamphlet ou un libelle
Mais pour un sonnet qui, las, chantait
Combien la vie naguère était belle.
Il évoquait les champs et la ville
Non le monarque ou sa cour servile,
Il y parlait d’oiseaux et de liberté
Pour la faune et non pour la plèbe,
Non d’iniquités à rhabiller
Ou de mépris altier pour la glèbe.

 C’est pour ça qu’on l’a embastillé ?!

Ce sont souvent de bien petits mots
Qui font trembler les rois et leurs trônes,
Surtout s’ils traduisent de grand maux
Dont l’écho ne vient pas à la couronne…

vendredi 7 juillet 2023

MON HAMEAU

Au creux de cette morne plaine,
Pays de peupliers, d’ormeaux,…
Faisait face à la mort, un chêne.
Des oiseaux plein ses rameaux,
Il dérobait au soleil, sombre,
Mon presque bourg, oui, mon hameau,
Mais ce n’est aujourd’hui qu’une ombre.

Ici courait « la rue du frêne »,
Là, un ruisseau, sans mot ni maux,
Meublait l’air clair de son sans-gêne ;
Le vent y avait chalumeaux.
Tout était champs, arbres sans nombre,
Vieux gardiens du bourg, du hameau,
Mais ce sont aujourd’hui des ombres.

Alors pas de clé, pas de chaîne,
Mais bien sûr quelques vieux chameaux
Et quelques pies encore embrennent.
Grimauds de bourgs, de hameaux
Ils en sont l’éternelle pénombre,
Menant au loin de ces marmots
Tout en jeux, jamais en surnombre,
Dont la joie allait à mi-mot ;
Mais ce sont aujourd’hui des ombres.

Au creux de cette triste plaine,
Pays de peupliers, d’ormeaux,…
Faisait face à la mort, un chêne…
C’est Passé diront gens normaux,
Souvenirs qui en mémoire sombrent…
Il reste ce bourg, ce hameau…
Mais ce n’est aujourd’hui qu’une ombre.

mercredi 5 juillet 2023

ADIEU MON FRÈRE

Au lendemain du 3 juillet 2023

J’ai le cœur gourd, anémié ;
L’âme comme anesthésiée
Et puis plus assez de larmes
D’avoir pleurer, sans vacarme,
Ceux qui t’ont, las, précédé,
Ont, devant la Faux, cédé,
Dont on fut dépossédés.

J’ai le geste bitumé,
Les sens à peine allumés
Et l’esprit embrumé.
Les mots, eux aussi, me quittent.
Je vis à voiles réduites,
Automate parmi vous
Ou passant sans rendez-vous,
L’instinct, seul, au garde-à-vous.

Il est des chagrins muets
Qui vous font parfois huer
Par qui veut que, face au drame,
On soit tous comme Pyrame,
Mais la douleur peut briser,
Jusqu’à la voix épuiser,
N’offrir que des yeux usés…

J’ai le cœur anesthésié
Et l’âme comme anémiée.

lundi 3 juillet 2023

ET LA LUMIÈRE FLUE…

Dans l’éclat mat du couchant,
Je vous compose ce chant,
Vers forgés par un jour lourd
Aux bras jà devenus gourds
Sous un ciel sans tain d’étain
Qui aux toits de zinc éteint,
À ceux de cuivre verdi,
Fait une tête engourdie
Et le pas en nonchaloir
Par les rues et les couloirs.

Dans l’éclat mat du couchant
Je propose enfin ce chant,
Frappé sans fin, à l’instinct,
Sur l’enclume du destin
Pour la feuillée d’or fané,
Le bois de bronze où glaner
Des restes d’un temps d’effroi
Qu’Hiver martelait à froid,
Avec pouvoir de vouloir,
Par les rues et les couloirs.

Dans l’éclat mat du couchant
Je termine hélas ce chant,
Trempé dans une marée
D’écume désemparée
Et dans l’odeur de métal
De quelque moment létal,
Instants de fer et de sang,
Fatal au plus innocent
Qui tombe sans se douloir,
Par les rues et les couloirs.

samedi 1 juillet 2023

LA TEMPÊTE

Petite fable affable d’après la Tempête (fable LXXX) d’E. Le Noble (1710)

Il faudrait interroger la Fortune
Quand le jour est leurre et le chaud effroi
Aux tropiques, loin de nos pays froids !
Que me pardonnent Triton et Neptune,
Pour nos bons pitaud et autres patauds,
Je voudrais compter histoire de bateau…

Un galion bien appareillé sillonne
L’océan et ses voles qu’aiguillonnent
Les Alizés lui font courir les flots.
Par temps si beau, ce n’est pas du boulot
Que d’être à la manœuvre, hein les bulots !
Presque on en oublie qu’il y a trois sortes
D’hommes, comme dit le penseur amer :
Les morts, les vivants, ceux qui sont en mer.

Et puis, soudain, ce sont vents et nuages.
Plus de roulis. Et bien trop de tangage.
On voit alors la vague se lever.
Le flot se creuser, sa voix s’élever
Jusqu’à mugir et, de rage, il écume.
Face à la furie les têtes s’embrument
Et puis… l’orage se calme aussitôt.
Foin de menace et de courroux des eaux…

Lors, pilote et matelots de bord virent
Et là, notre vaisseau vainqueur chavire
Et s’échoue, non sur hauts fonds, mais écueils :
La côte d’Afrique est, las, son cercueil
Car c’est dans le calme qui suit l’orage
Que l’on compte, hélas, le plus de naufrages.