Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

mercredi 21 septembre 2016

LES DEUX MENDIANTS

Petite fable affable
librement inspirée de L’aveugle & le paralytique
de J.-P. Claris de Florian (Fables, livre I)

Un aveugle et un paralytique,
Ne se connaissant ni d’Ève ni d’Adam,
Dans quelque cité asiatique
Mendiaient pour avoir du riz sous la dent.
L’un geignait de ne courir le monde
Et l’autre pleurait de ne rien en voir.
« Cécité est le sort le plus immonde !
- Sclérose est pire encore, il faut le savoir ! »

Ainsi passaient leurs journées, de larmes
Vaines en jérémiades sans fin.
Mais leur chagrin mettait en alarme
Le plus charitable porteur de couffin.
On les crut souffrants, en plus de leurs tares,
De bien plus inavouables maladies :
Leur sébile, comme le Tartare,
Restait vide, sèche et désolée, pardi !

Un jour, près d’eux, la robe d’un moine,
Vivant d’aumône aussi, vint à passer.
« Quand on est le plus gras des chanoines,
Lança l’estropié, sans s'lasser
Comme tu le fais, on peut sourire !

- Moi, qui n’ai et ne suis guère plus que vous,
Mon plaisir plaît, cela va sans dire,
Aux généreux donateurs qui se dévouent…
Et la charité réjouit l’âme !

- Donneraient-ils si tu étais comme nous ?!

- Oui, Frères Quêteurs, car votre drame
N’est pas vos maux mais qu’ils vous mettent à genoux ! »
Puis il partit, les laissant perplexes.

Le lendemain, notre aveugle s’écria :
« J’ai compris !… Se plaindre est un réflexe
Nuisible menant ennuis en noria.
Faisons un atout de nos problèmes :
je vais te porter, mon ami, sur mon dos
Et toi tu me diras tout des blêmes
Beautés de l’aube, des splendides cadeaux
Du soir, des couleurs mises en foules
Et des palais fort dorés des Grands.
Tu marcheras, je verrai, Ma Poule ! »

Ainsi firent nos deux clochards
Qui coururent toute la province,
S’émerveillant des champs, des buffles, des chars,
Des villes où, avantage peu mince,
Leur joie de vivre retrouvée achetait
Les cœurs de pierre et les doigts pingres
Montrant à tous, dodus et malingres,
Que de défauts peuvent naître qualité !

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