Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

dimanche 31 mai 2015

AU CAFÉ « LE MODERNE »

D’après un croquis de Camille Lesterle

Il me souvient d’un vieux café
Où l’on allait se désoiffer
D’un vin qui rougissait les lèvres
Et rosissait les joues des gars ;
Rendant vite les vieux gagas,
Il donnait aux filles la fièvre.
Y errait un Argentin désargenté ;
Fatuité, vacuité et frivolité,
Lui, il se pintait au genièvre.

On voyait donc dans ce café
Un clodo qui s’rait né coiffé,
Un thésard taiseux, les « bell’ gosses »
Qui arpentaient le boulevard
Et des buveurs un brin bavards
Fuyant leurs femmes, grosses rosses.
Ils trouvaient bon ce qu’ils n’avaient pas lu
Et beau ce qu’ils avaient à peine vu :
Le journal leur servait de drosse !

Dans un recoin de ce café
Mon encre gaffait, agrafait,
Un pauv’ gars faussement bohème
Se prenant pour un vrai gitan,
Les vieux obséquieux bien contents
De n’être pas de « c’foutu temps »
À voir ce faiseur de poèmes,…
La « pègre nègre » et la « mafia rasta »
Leur faisaient mettre les gros mots en tas,
Regretter le « vieux dix-neuvième »,…

Il circulait dans ce café
Des gros ragots qui décoiffaient,
Des petits potins sur les cruches
Priant la crèche, d’un air las,
Qui ouvraient cuisses plus que bras
Ou bien se piquaient fort la ruche.
On causait talbins, turbin ou bambins ;
On était tous larbins ou chérubins
Face aux rupins et aux greluches !

Je reviens dans ce café…
Mais la faune qui y gaffait
Et buvait de feint fatalisme
En faux fanatisme n’est plus.
Car tant d’années depuis ont plu
Sur ces gens tous pleins d’égoïsmes
Dans leurs vaines colères indomptables/
Leurs heures ne jouant pas les comptables,
Ils sont morts de leur « archaïsme » !

Mais je les attends au café,
Et les y entends piaffer,
Les braves comme les bravaches,
En mots morcelés, sur leurs vies
Vécues ou à venir, des vies
Qui leur furent toujours si vaches,
Qui, quoique glacées de désespérances, 
Ne se lassaient jamais d’une espérance,
Se réinventaient, sans relâche.

Vous qui passez dans ce café
Pour y boire un vin carafé,
Songez à cette valetaille,
Qui s’y faisait, là, craqueler
Un fin vernis d’écervelé ;
Ces ombres, cette piétaille,
Discutant destinées des dynasties
Dans une familière eucharistie
Étaient bien plus que prétintailles !

Croquis : Camille Lesterle, mai 2015

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