Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

jeudi 27 février 2020

J’EN FAIS DES WAGONS

Édito inédit pour RuedesFables (non publié à cause du décès d’A. Reffes, été 2019)


          Moi qui allais mon train, et plutôt un bon train faut-il l’avouer, on a ferré ma voix comme un vulgaire sabot. N’en déplaise à la madone des sleeppings, j’en suis tombé, misère, sur mon arrière-train qui n’en a pas sifflé trois fois de mécontentement. Mais quand même !… On m’a assuré qu’il était en effet des chemins de fer comme il fut des Gaston du même nom - car il avait la santé Deferre -  et qu’il me fallait suivre la cadence de l’air du temps, bielle en tête, si je voulais avoir un bon ticket. Je le comprends n’étant poinçon. Mais de là à m’atteler à pareille mécanique, c’est inhumain. Quel mal-embranché a eu pareille idée saugrenue ? Un qui carbure au diesel côté neurones, sans doute. Non, on ne me fera T.E.R. sur ce coup-là !
     Ainsi, au lieu de pousser des wagonnets au fond de la mine  de charbon, je fabule contre un siècle qui marche à voile et à vapeur à la mine d’un crayon. Mais je suis contraint d’aller à un train d’enfer, Rochereau ou autre, confondant vitesse et précipitation, horaire S.N.C.F. et quart d’heure bigourdan. Aussi, je cours à côté de mes rails, malgré les contrôleurs, tirant à la ligne tel un T.G.V., quand je voudrais rester à quai et à quia. Hélas, trois fois hélas, les Huns et les autres allant, eux, à fond de train en vraies locomotives du changement… d’heure, je les suis comme on suit sa voie, sans conviction mais avec vélocité, caténaire de rien. Je renvoie le ballast l’adversaire, surtout si c’est un voyageur sans billet, étant fair-play comme un anglais !
     Au train où vont les choses, qui étaient pourtant jusque là sur de bons rails, je m’égare Saint-Lazare car un doute m’étreint (de 19 h 17 sûrement car j’ai raté le précédent) : en serait-il fini de mon train de sénateur que je suivais sans entrain dans un quotidien train-train qui se refusait au fond de train ? Ce n’est pas que je mène grand train, non depuis ce jour où je me suis embarqué dans l’omnibus de l’écriture, Micheline (il n’y a que le train qui ne lui soit pas passé dessus), du genre plates formes, à mes côtés, ma voix s’éraille comme il sied souvent au savant que je ne suis pas et n’aspire pas à devenir, préférant la voie de garage à celle du stentor et les échangeurs autoroutiers aux aiguillages ferroviaires où ces cocus de chefs de gare sifflent à tue-tête car cheminot chemine bas et file ses collants. Et n’oublie pas de mettre ton pull, Man, sinon il ne te restera que l’essieu pour pleurer ou, si tu veux arrêter la machine, à tirer l’alarme à l’œil !
     Oui, quoique plus beau que feu bogie et malgré mon gabarit, le cul sur mon coussinet, je suis en train de dérailler sans crier (aéro)gare alors que je devrais mettre en train, non mes enfants qui vont encore au pot, mais quelque apologue où il serait question de crocodile amoureux d’un passage à niveau ou d’un autorail voulant devenir trolleybus, pour illustrer mon propos plein de dépôts de vin. Je ne puis plus vivre à fleur de fable en allant mon petit train parce qu’il me faut désormais prendre le train en marche, un express qui plus est. Cela n’est pas de tout repos. Alors je crie « Halte ! Arrêt d’urgence ! E pericoloso sporgersi ». En d’autres termes comme on dit à Ax, « Terminus, tout le monde descend ! », s’il me faut m’atteler à la besogne, tiré par quelque motrice que ce soit, je m’en fous comme de colin tampon, autant que ce soit à mon rythme, celui du tortillard, c’est plus classe, l’important étant que le garde-barrière en poste soit là à l’heure pour saluer mécanicien et chauffeur. Alors, « à bonne en tendeur, salut » comme disait A. Allais et…

     Fabuleusement vôtre.

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