Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

vendredi 1 juillet 2022

LA PAROLE

Petite fable affable d’après un conte africain

En tirant sa pirogue sur la grève,
Aux abords du delta du Sénégal,
Ce marin-là croit à un mauvais rêve :
Ses prises feront un repas frugal
Aux siens mais surtout, sur le sable,
Gît un gros crâne qui, chose impensable,
Répond à son ironique salut,
Marque de son dépit. Est-ce berlue
Ou folie, tous deux défauts haïssables ?

Il dit à ce tas d'os non sans mépris :
 « Qui t’a conduit ici, divin crâne ? »
Car il doutait un peu de son esprit
Qui fait que jà, de lui, on ricane.
« La parole ! » répondit lors ce caillou
Desséché. Ce bon pêcheur, comme un fou,
Partit au village annoncer le prodige,
Se croyant un élu, pris de vertige.
L’accueillirent quolibets et youyous.

Le chef demanda le quoi et le qu’est-ce :
« J’ai vu un crâne en bord de mer,
D’où l’agitation et la liesse.

- Prouve tes dires, fait le roi amer,
Car je n’aime guère les persifflages
Ni ce qui trouble la paix du village. »

Tous partirent à l’endroit où eut lieu
Le grand miracle. Le crâne, odieux
Et sale, était là. Seul. À l’étalage.

Donc, le nautonier l’interrogea
Avec déférence, avec révérence,
Mais hélas la mâchoire ne bougea
Mie, malgré suppliques et insistance.
Aussi le chef décolla ce menteur
Et sa tête roula, horreur, malheur,
Auprès du crâne. Lors la plage se vide
Comme elle s’emplit, après ce vil bide.

La nuit tua chaleur et couleurs.
Et le crâne parle alors à la tête :
 « Petite, qui t’a donc conduite ici ?

- La parole ! » répliqua, d’un air bête,
La tronche tranchée, déjà rétrécie…

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