Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

samedi 13 avril 2013

BAGDAD MARCHÉ

          Ça et là, à la lueur de bougies, parmi les éventaires des vendeurs venus des venelles voisines, sans précipitation ni altercation, des étals sont dressés par des maraîchers qui ont abandonné  qanâts ou canaux. Un confiseur, en gilet, aussi brun que les gâteaux croustillants qu’il a installé près d’un dôme de sucre candi, s’apprête à enfourner une tournée de douceurs parfumées à l’anis et de cornes de gazelles nappées de miel qui, déjà, embaument. Près de lui, un fellah enturbanné a érigé des collines d’amandes fraîches et d’abricots veloutés qui meurent aux pieds de montagnes de citrons et de pastèques ; une rivière de dattes brunes passe sous un pont de bananes vertes et meurt au pied de rochers de figues, de coings ou d’oranges. Ailleurs salades, aubergines, artichauts et poireaux se marient, en présence de quelques courges, aux radis, aux épinards et aux concombres sur des lits d’aulx et d’oignons tressés. Plus loin, des femmes ont établi des tables où des plantes aromatiques attireront les narines des gourmets et la convoitise des gourmands : estragon, persil, origan, coriandre, cumin, cannelle et gingembre rivalisent de parfums au milieu d’une composition savante d’entrelacs de safran et d’arabesques en clous de girofle, s’offrent en mosaïque alambiquée. Ce ne sont qu’odeurs entêtantes et couleurs sans nuance qui vous laissent sous le charme d’un foisonnement qui captive les sens après les avoir capturé.
     Plus loin, sous l’œil inquisiteur de policiers de la douane qui veillent aux poids, aux mesures et aux tarifs, des marchands de tissus somptueux et d’étoffes fluides mordent à pleines dents dans des pêches juteuses. Les tapis persans de ces commerçants, où s’amassent des damas écarlates, laissent s’épancher des satins carmins, ruisseler des soies soignées, couler des flots limpides de gaze immaculée, cascader du coton indigo, pleuvoir l’opaline de la mousseline, déluger des tas de taffetas,… Des cordonniers aux mains sombres, des dinandiers aux doigts rougis, des souffleurs de verre à moitié nus se joignent peu à peu au marché qui s’anime de cent voix, de mille bruits, d’autant de fragrances et de plus encore de teintes qui grisent de leur féerie mouvante mais permanente. Le marché transmet l’étincelle de la vie aux rues du bazar et à ses magasins qui s’animent, quartier après quartier : tisserands, horlogers, céramistes puis bijoutiers s’activent méticuleusement tour à tour. Un parfumeur, un verre de limonade à la main, dans le secret de sa boutique, vante ses eaux de fleurs d’oranger, de lilas, de rose et de saule et révèle, avec des mines de comploteur, les mystères alchimiques des complexes amalgames de ses élixirs et de ses alcools aux senteurs raffinées, de ses cosmétiques et de ses drogues. Il en a pour tous les budgets…
     Les clients les plus matinaux, tout de discussions animés, les voix s’entrechoquant, sans se presser, viennent poudrer de poussière leurs babouches et désaltérer leurs bouches de mots et de mets. Ils iront, au hasard, jusqu’à ce que brûle le zénith,  négocier les fardeaux que les barques des riverains de la Vallée ont pu déverser ou marchander ce que les couffins des caravanes venues de tous les points de la rose des vents ont pu convoyer.  Ils arrivent déjà par les rues étroites qui montent à l’arsenal encore silencieux à l’heure où le rideau d’ombres de la nuit se lève lentement sur ce théâtre d’intense activité que l’aurore a ranimé dans une odeur de café fort qui fume dans les carafes et les tasses.…

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