Le temps est un souffle et l’Histoire vent mauvais.
Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques
parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…
jeudi 12 décembre 2024
PRODIGE HABITUEL
Sur une photo de Marc-Yvan Custeau, 14 juillet 2023
C’est un bref moment d’incertitude
Où l’ombre devrait donc basculer
Dans l’aube neuve, par lassitude…
Ou bien parce qu’hélas bousculée.
La nuit, qui avait vêtu les terres,
Jette enfin ses haillons en buissons
Et tait, pour un jour, tous ses mystères,
Qui appellent en nous peurs et frissons.
Des arbres, silhouettes illusoires,
Libèrent les sillons des labours
De leur étreinte froide et moins noire,
Dessinant de sombres brandebourgs.
La lune, pâlie, a pris la fuite ;
Les étoiles se sont effacées.
Déjà l’aurore marche à leur suite,
Pour le petit matin délacer.
mercredi 11 décembre 2024
HAÏKU LOIR
Souvent quand j’arrive quelque part on me dit que je tombe très bien… mais côté réception, parfois, ça fait très mal.
PAR LES GALETS POLIS…
Sur une toile de Michelle Michaud (Montréal, avril 2021)
Par les galets polis
De nos jours si remplis,
Quelques couleurs gambillent
Sur la toile tourdille…
Tout y est suggéré :
Mouvement en goguette
Et reflets éthérés
Dans l’eau et ses alguettes
Au gré de cent vaguettes.
Comme ondoyants poissons
Vont frayant dans l’eau claire,
Frétillant, sans façon,
Le pinceau va, célère,
En estompant les tons,
En esquissant les touches,
Pour que, sans retouche
Là, vibre, à tâtons,
Nos vies de vains tritons.
mardi 10 décembre 2024
TEMPS D’HIVER
Sur une photo de Marc-Yvan Custeau, 27 janvier 2024
Grelotte la forêt où de frileux frissons
Animent la cape toute d’hermine blanche,
Font craquer, soupirer les bois et les buissons
Devenus chausse-trappes, à chacune des branches.
les voies de blanc se vêtent. Et les bois nus se gantent.
L’aube se lève enfin, pâle et glacée d’effroi.
Ce breuil semble inhabité alors que le hante
L’hiver, vieil aigrefin, brutal, cruel et droit.
On vient là tout botté d’une neige collante.
Le givre se fait crêts. Le verglas paillasson.
Le temps est arrêté, La glace scintillante
Est dure comme grès. C'est un caparaçon.
L’air figé par le gel, aux ramilles raidies,
Se froisse aux coups d’ailes d’une chouette froidie.
lundi 9 décembre 2024
LE VŒU DU VER
Petite fable affable
Un ver de terre s’agite et gigote
Au bec d’une poule d’un roux fané
Qui faisait de la boue une gargote :
Tout ce qu’on y trouve est, las, condamné.
« Vraiment quelle malchance : une cocotte !
J’aurais aimé un coq, un paon… un dindon
Même !… Mais pas une bête aussi sotte.
Dit le prisonnier dans son rigodon.
- Que t’importe, vermisseau, qui te mange
Puisque ton destin et rien, las, n’y change
Et de finir festin !
- Vie fut de peu,
Que mort vaille mieux ! » fit le gadouilleux.
dimanche 8 décembre 2024
LEVER DE RIDEAU
Sur une photo de Marc-Yvan Custeau, 31 août 2023
L’aube lève un voile prude sur une aurore
Adossée à la nuit, adoucie de pastels,
Chassant les langueurs d'une brume qui déflore
De fugaces moments, des instants immortels.
samedi 7 décembre 2024
BELLE SAISON ?
Le feu du soleil brûle les nues
Et trempe l’eau au bord du malaise ;
L’air n’est qu’étuve le soir venu
Quand le jour a l’ardeur des fournaises.
Dans l’haleine enfiévrée de l’été
L'ombre est pourpre comme les roses
Par la rosée de l’aube allaitées,
À qui nul ne contera sa prose.
Oui, la canicule est revenue
Hier encor’ on la disait fadaise ;
La sécheresse l’a maintenue
Pour qu’elle prenne, chez nous, ses aises.
Pas de répit et point de repos,
Le corps est lourd, au bord de la tombe ;
Le souffle est court et rouge est la peau
Sous cet éther bouillant qui nous plombe.
Nul ne sort. Chacun est retenu
Par la trompeuse moiteur d'alèses
Ou un courant d’air entretenu
Qui peine à fraîchir les murs de glaise.
vendredi 6 décembre 2024
AUBE AU LAC
D’après une photo de Marc-Yvan Custeau, 29 mai 2024
Contre le noir de la nuit à peine endormi
Il pleut de l’or sur le lac qui encor’ sommeille
Né du creuset de ce matin il ensoleille
Une aube qui peine à vaincre son ennemi
Ce n’est pas toujours que les nues nous émerveillent
Ocres et bronzes frappant comme un vrai tsunami
Les rives de nos rêves où la vie fait semis
Le vent glisse sur ce ciel lisse qui vermeille
Jusqu’à la sombre forêt aux fûts affermis,
Ombrages insoumis et sentes sans compromis
Dont les locataires à ces beautés crues s’éveillent
jeudi 5 décembre 2024
LE PHILOSOPHE & LA POPULACE
Petite fable affable
Un songe-creux aimait à méditer en paix
Pour s’entretenir au mieux avec lui-même
Il se fit ermite au gré d’un bois épais.
Jamais d’anathème ni mie de blasphème,
L’humeur égale et sereine, épanoui
Il menait une vie simple et réglée, calme
Loin du monde, de ses bruits et de ses louis,
Vivant de peu en cabane à toit de palmes.
On vit en lui un saint ; il n’en demandait
Pas tant. On accourut à lui pour une bonne parole,
Un conseil qu’il offrait sans rien quémander,
Une onction - qu’il refusait - ce n’était pas rôle
À sa mesure,… Cette modestie-là
Lui attira des foules ce qui le lasse
Et il se renfrogne de ce vain brouhaha.
« Comment ? dit un notable tout en audace,
Depuis notre venue tu ne t’abîmes plus
Dans ce mortel ennui qu’est la solitude !
- Depuis votre venue, malgré votre afflux,
Je me sens, las, bien plus seul qu’à mon habitude ! »
mercredi 4 décembre 2024
PREMIÈRE HEURE
D’après une photo de Marc-Yvan Custeau (17 septembre 2024)
Le pourpre saluait dès avant son réveil
Un jour rubis tout de feux sans fard et de sang,
Alors que l’incarnat de l’aube, languissant,
Tirait lumière enfin de son froid sommeil.
Trouées d’or et amas grenat resplendissant,
Nues lilas aux moutons safran sans fin glissant :
Si tout matin fait de même, aucun n’est pareil !
Loin des secousses du monde je vis l’éveil
Du ciel qui accueille un matin blond rougissant
Comme un enfant pris en faute et gémissant.
De cuivre et de corail se pare le soleil.
mardi 3 décembre 2024
LE VIEIL ÉTANG
L’eau toute ensommeillée de mon vieil étang
Rêve de cieux bleus et de haute futaie.
Avec ses vaguelettes qui prennent leur temps,
Ses clapotis et ses ridules emboîtées,
Il me dessine, chaque jour, en surface,
Et ce, j’avoue, quelle que soit la saison,
Un changeant tableau de Monet qu’efface
Ou qu’anime le reflet des frondaisons.
On ne se lasse pas de ses volte-faces.
L’eau toute ensommeillée de mon vieil étang
Qu’écorche et griffe le moindre vent souvent,
Appelle à songer aux souvenirs des temps
Où les rires et les jeux des enfants d’avant
Éclaboussaient ses joncs et le faisaient vivre
Et vibrer tout autrement. Ses friselis,
Qui emprisonnent ces anciens convives, ivres
De joies simples et, pis, d’innocentes folies
On les dirait sortis d’images d’un livre.
L’eau toute ensommeillée de mon vieil étang
Frissonne de rainettes venues le hanter,
Qu’aigrette blanche ou héron cendré, sentant
La bonne aubaine, sont venues visiter.
Les veille, chenu, le chêne où se balance
Au gré des souffles qui balaient notre année,
Tout en douceur, oui, presque avec nonchalance,
Une escarpolette oubliée, condamnée
Las, à quelque éternelle convalescence.
lundi 2 décembre 2024
L'HIVER N’EST PLUS, VIVAT ! (Emile Nelligan)
Sur une photo de Marc-Yvan Custeau, 30 mars 2024
L’hiver s’en va comme un rêve s’évanouit,
Dans un denier frisson, sans fracas et sans bruit,
Car le sablier, sans fin, ses saisons égrène
Pour que la quenouille des jours, sans mal et sans peine,
File du temps passé pour le rouet des ans.
Puis, sur la trame des heures, on coudra instants,
On brodera moments, sains plaisirs, fêtes païennes,…
Dans des parfums d’encens, de cannelle ou de thym,
Des odeurs d’agrumes, juteux soleils éteints,
Entre boue et brouillard, les frimas agonisent
La forêt fume, mue et s’émeut à sa guise.
Elle songe aux feuillées qui plient sous la pluie
Quand un rideau d’eau tiré sur l’horizon fuit,
Que la bourbe trouble le ruisseau et le grise…
Flore aux pied nus s’en vient sur un tapis glacé ;
Cheimon s’abandonne à ses bras, presque effacé.
Frasques oubliées, ses pas dégivrés encore hantent
Les pierres drues ; ici et là, les bois nus chantent
Ses restes éteints parmi les ronces aux bras tordus,
La bruyère qui bruit, les mousses soudain herbues,
Les bouquets de bosquets à l’humeur vacillante…
dimanche 1 décembre 2024
LE CHIEN DU JARDINIER
Petite fable affable d’après
Le chien du jardinier de Lope de Vega (1618)
Un mâtin de Naples, levé de mauvais pied,
Surveillait le jardin d’un vieux ladre
Qui le salariait, ma foi, sans trop barguigner,
De volées de coups… et en escadre.
Mais le vigile n’en était pas moins vertueux
Et, bien pire hélas : in-co-rrup-tible.
« Mais que t’importent donc, cerbère impétueux,
Ces légumes, qu’assidu, tu gardes :
Tu ne le goûtes pas et ne souffres pourtant
Guère plus que, même par mégarde,
On y pique un peu ! fit un lapin malcontent.
Serais-tu donc comme ces humaines
Qui ne sachant plus ou ne pouvant pas aimer,
Refusent à toute jeunesse amène
Le droit d’être, au printemps commençant, elle, aimée ?! »
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