Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

lundi 7 octobre 2013

LA TIRADE D’AIMER

Sur « La tirade du nez » du Cyrano de Bergerac (1897,  Acte 1, Scène 4)
d'Edmond Rostand (1868-1918)


Aimer… Oh, oui Aimer ! C’est un mot bref, en somme,
Qui ne dit pas, mon Dieu !, combien il vous assomme.
Quand votre cœur s’éprend, on vient à vous blâmer ;
Agressif : « Moi, Mon Bon, pour que je puisse aimer
Faudrait, Niquedouille, que d’aucuns m’aveuglassent ! » :
Amical : « Te voilà devenu bien bêtasse :
Aujourd’hui des ailes, demain le handicap ! » ;
Dubitatif : « Quel choc !… C’est pas chic !… T’es pas cap !
Pas cap de nous laisser, seuls, fêter Sainte Ursule ! » ;
Curieux : « Pourquoi donc acheter un’ russule
Quand y a qu’à s’baisser pour en avoir, zozo ! » ;
Sentencieux : « Es-tu sot à ce point, ou maso’,
Que si benoîtement, pour une névropathe,
Tu te laisses passer ce fil-là à la patte ? » ;
Truculent : « Eh, Mon Vieux, quand tu veux aluner
Puisque, désormais, tu te crois bien fortuné,
Ta beauté est-elle toujours des mieux lunées ?! » ;
Prévenant : « Gare que ton esprit, aliéné
Par ton cœur balourdi, ne soit flingué en vol ! » ;
Tendre : « Dis, ces chaînes que, là, tu traînes au sol
Ne gênent-elles pas de ton bonheur l’envol ? » ;
Prophète : « Mine triste et joues blêmes te fanent
Nuits et jours, te mènent direct à Thanatos
Pour qui l’amant épris est proie et puis tas d’os ! » ;
Bon copain : « Quoi l’ami, sortir t’est moins commode ?!
Plaque-là c’est bien mieux et très… à la mode ! » ;
Emphatique : « Aucun homme et mieux, nul animal
Ne se laisse piéger ainsi, sauf au plus mal ! » ;
Violent : « Ah, fichtre ! tu mérites des beignes ! », 
Sournois : « Aimerais-tu à ce point les châtaignes ? »
Poète : « La rose à des épines, Ducon ! » ;
Mesquin : « Tu tiens vraiment à finir cocu ?!… Non ?! » 
Ou : « Pourquoi faire le malheur d’une ingénue
Quand tu pourrais faire le plaisir de cent nus ! »
Bon sens rural : « La corde au cou, t’es mort, le Nain !
Finis donc ce flacon, c’est meilleur qu’son venin ! » ;
Militaire : « Repli stratégiqu’, lou ravi ! » ;
Pratique : « Casse-toi, Vieux, et sans préavis,
Si tu ne veux pas que tout ça aille à vau-l’eau ! » ;
Enfin, singeant Michel Simon, tout en sanglots :
« Le voilà donc l’ami devenu serf et traître
Qui n’avait, avec nous, que le plaisir pour maître ! »
Voilà ce, qu’à peu près, tous mes amis m’ont dit
Quand le mariage me fut un parti pris.
Eux n’eurent de cesse de me faire apparaître
Ces raisons qu’invoquent ceux qui n’ont pas pour mètre
Ce sentiment si doux, si fort qu’il rend… plus sot.
Eussent-ils eu, d’ailleurs, les arguments qu’il faut
Les aurais-je entendus sans avoir bien souri ?!
Ce sont là communes, mâles plaisanteries,
Que l’on sort à tous ceux, Don Juan au rencard,
Qui convolant enfin, en deviennent tocards.
Mots cruels d’envieux toujours sur la réserve
Qui s’unissent un jour, comme moi, l’âme serve !

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