Édito’ pour RuedesFables, janvier 2017
… Mais pas trop loin, car elle loge et se balade ici, RuedesFables dans laquelle vous venez d’entrer pour flâner un instant ou pour l’arpenter un moment. Car, avec des hommes affables et des hommes à home, metteurs en scènes et saynètes, on les y trouve toutes ou presque : fables de bon aloi, ma mère l’Oye, fables affables et qui sont parfois chants tournés en dérision ou ineffables fables. Jeunes, vieilles, éternelles, sur le retour,… il y a en pour tous les goûts et toutes les couleurs. On y croise même la fable de César* qui, aussi coquette et élégante soit-elle, même nue comme la vérité et volage comme l’ineffable air du temps, ne doit pas être soupçonnée…
Si vous êtes à déambuler sur ce pavé c’est que vous connaissez auteurs et poètes qui ont souvent, jalousant peut-être les Anciens, disserté sur le genre littéraire que défend ce site. Ainsi, F. Hegel, dans son Esthétique (1818-1829) prétendait que « La fable est comme une énigme qui serait toujours accompagnée de sa solution », alors qu’il n’est pire mystère pour l’homme, aussi liant soit-il, que la fable à laquelle il est attaché parce qu’uni à elle ; surtout si c’est une maîtresse-fable ou une fable fatale, voire une de ces fables de Caractères (1688), s’il en est, si chère à J. de La Bruyère, adhérente au Mouvement de Libération des Fables. Son émancipation reste, moins acquis qu’acquêt, un combat qu’il faut chaque jour (re)mener haut la main et gagner d’aussi haute lutte même si, depuis les années 1960, chacun sait que « Moulinex libère la fable ». Et dès lors la fable, même si elle ment comme elle inspire, aussi galante qu’une fête, voit son empire total sur nous à la fois égérie et préceptrice… Car si l’homme propose, la fable, elle, dispose et ce que fable veut, Dieu le veut ; une simple fable étant l’égale de tomes : selon A. Houdar de La Motte (1672-1731), que cite J.-P. Claris de Florian dans la préface de ses Fables : « Pour faire un bon apologue, il faut d’abord se proposer une vérité morale, la cacher sous l’allégorie d'une image qui ne pèche ni contre la justesse, ni contre l’unité, ni contre la nature ; amener ensuite des acteurs que l’on fera parler dans un style familier mais élégant, simple mais ingénieux, animé de ce qu’il y a de plus riant et de plus gracieux, en distinguant bien les nuances du riant et du gracieux, du naturel et du naïf. »
Aussi la fable de lettres ou d’esprit, sage et belle quand elle est jeune, est souvent incomprise aujourd’hui. Le genre s’étiole sans disparaître - sauf du catalogue des éditeurs - car la fable moderne existe et elle est fidèle autant que jalouse. Enfin celle que son époux, fort marri depuis, n’a pas pris pour une fable à tout faire alors qu’elle est fable d’affaires… et d’action, mot qui, lorsqu’il a la côte, est pluriel. Ce ne sont pas là histoires de bonne fable, ni de fables fortes bien entendu. J. Ferrat chantait qu’ « une fable honnête n’a pas de plaisir… » quoiqu’elle en offre, fable de bien comme fable de cœur, qu’elle soit de chambre - Ah, le ballet des fables ! - ou du monde. Bien sûr on pouvait m’arguer, pour me narguer, que l’un prétendit que « souvent fable varie, bien fol qui s’y fie », et qu’un autre, non moins péremptoire affirmait, trois siècles plus tard, « La chaire est fable et j’ai lu tous les livres ». C’est là, pour ceux qui ne veulent voir midi qu’à leur porte au lieu de le chercher à 14 heures, mépriser la fable qui est moins “de ménage” que “de méninges” - on parle alors de fable de tête ! - et la compter au rang des fables de peu, voire des faibles fables. Pourtant la plupart sont de saintes fables, même les petits bouts de fables, jolies fables qui deviennent si vite de ces “Fleurs du mâle” (1897) qui émouvaient tant Ch. Baudelaire. Les fables libres n’ont jamais bonne réputation, c’est pour cela qu’elles font tant d’histoires et posent des questions de morale ; en effet, « pour le fabuliste, il y a d’abord une moralité et ensuite seulement l’histoire qu’il imagine à titre de démonstration imagée, pour illustrer la maxime, le précepte ou la thèse que l'auteur cherche par ce moyen à rendre plus frappants ». (Claude Simon, Discours de Stockholm, 1966)
Parce que « la plus belle fable du monde ne peut donner que ce qu’elle a », la fable parfaite, ou pire idéale, surtout si elle a la vertu court-vêtue et la morale élastique comme seules savent l’avoir les fables faciles, n’existe pas… quoique, peut-être pareille ingénue pourrait bien se cacher ici dans son plus appareil. De vers vêtue, veux-je dire !… Saurez-vous la trouver hors de l’école des fables ? Pour mon humble part, toujours un petit peu fable d’esprit, qu’on le veuille ou non, qu’on le reconnaisse ou pas, quand les Muses m’usent je ne peux que donner raison à L. Aragon, devenu pour le meilleur et pour le pire Le fou d’Elsa (1963), « la fable est l’avenir de l’homme » ; alors je mets mes mots sur les maux du monde. C’est là, bien évidemment, remède de bonne fable, mais efficace ô combien. Très fables en tout cas, de celles qui bien roulées sont tout aussi bien troussées, en espérant qu’elles ne soient pas comme les chemins, battues.
Fabuleusement vôtre… car comme le chantait Julien Clerc : « Fables, je vous aime ! »
* Ça marche moins bien avec celle de Panisse ou d’Escartefigue !
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