Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

mercredi 29 juin 2011

PROVERBES IRRÉGULIERS

Si Pauvreté n’est pas vice, Richesse peut faire écrouer.

*

Là où il y a l’amer, il y a les citrates.

**

L’oisiveté est amère sans tous les vices.

***

 Un homme perverti en vaut deux.

LOUP TÊTU, M'ENTENDS-TU ?

Petite fable affable

Un jeune loup entra, hier, en ma bergerie,
Voulant à coups de crocs s’y tailler un royaume.
De la griffe et du mufle il joua, le Guillaume,
Ne la ménageant pas plus que ménagerie.

Sans rien voir ni savoir,  il s’en fit le Messire
Devisant des détails, divisant le bétail,
Mettant vite le branle et le feu au bercail ;
Il prit tout le cheptel pour des bêtes à occire.

Mais les placides brebis sont ici cornues
Et ne suivent pas le premier berger venu,
En cela plus déliées d’esprit que de langue.

« Le respect se mérite, il ne s’impose pas ;
C’est tout pareil pour l’Autorité, n’est-ce pas  ?! »
Telle fut leur position sans plus de harangue…

HAÏKU DEUX SOLEILS

Après l’été, qui que nous soyons d’où que nous venions,
comment faire pour revenir sans être hâlés ? !

CHANT GITAN

Parmi herbes et glumes,
Quand Séléné ilune
Que, toi, tu prends ta plume,
Des ombres en tribune,
Guitar’ à plein volume,
On chant’ notre infortune
Dans la nuit qui s’allume…

Ici, là-bas,
La route n’offre pas de toit :
 Nulle part, je ne suis chez moi.
Ici, là-bas,
Ma venue, chez toi, crée l’émoi
Pourtant, moi, je suis comme toi,
 Ici, là-bas,…

Depuis le temps des runes,
Dans un parfum d’agrume,
Partageant quelques prunes,
Sans craindr’ ni frais ni rhume,
On chant’ depuis la brune
Dans la nuit qui s’embrume…

Ici, là-bas,
On se méfie dans son patois
Et personne ne veut pas de moi.
Ici, là-bas,
 Je vais et viens depuis des mois ;
 Tu me dis voleur et matois ;
Ici, là-bas,

Ici, là-bas,
 Je vais et viens depuis des mois,
La route n’offre pas de toit…
Là-bas, ici,
 Ton mépris m’éloigne de toi ;
Seule, ma guitare larmoie.
Là-bas, ici…

RONDE DE NUIT

Cycle historique

À l’heure où dame la Lune bombe son ventre,
Le dos courbatu et les bras brisés, je rentre
Enfin prendre quelque repos bien mérité.
Défait, cassé, fourbu, je fonce m’aliter :
Au mépris de la faim qui m’étreint, je m’abats
De tout mon long, de tout mon poids, sur le grabat
Quand, sous ma fenêtre, se glisse une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est dix heures par la ville et ses poternes ! »
C’est le veilleur qui hurle et rajoute, spécieux :
« Dormez en paix, bourgeois et autres bonnes gens :
Du marchand de sable, je suis un bon agent ! » 
Les cris de ce dindon qui, nuitamment, se paonne
Me mettent, sur le champ, le roupillon en panne.
Je tourne, et retourne, dans mon lit brouillonné ;
J’ai l’œil rouge et hagard, l’esprit tout chiffonné.
Mais, les heures passant, la torpeur me reprend…
Délicatement, dans ses bras, Morphée me prend
 Quand, sous ma fenêtre, s’avance une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est minuit dix par la ville et ses poternes ! »
Encore ce veilleur qui meugle sous les cieux :
« Dormez en paix, bourgeois, bonnes et braves gens :
Les archers préservent vot’ sommeil, vot’ argent ! »

Le guet fait défiler sa patrouille en cohorte
- Et au pas cadencé ! - juste devant ma porte
Piétinant le somme que j’ai imprudemment
Commencé depuis peu, répit d’un bref moment
Volé à l’insomnie et aux bruits de la nuit…
Tard, à bout de tout, ma paupière vainc l’ennui
 Quand, sous ma fenêtre, circule une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est deux heures par la ville et ses poternes ! »
C’est toujours ce veilleur qui me beugle, insoucieux.
« Dormez en paix, bourgeois et autres bonnes gens :
Le contingent, pour vous, est toujours diligent ! »
À bout de nerfs, je lui balance drap, chaussure,
Chat, pot de chambre et plats. Une chose est bien sûre :
C’est un vrai supplice !… Quel être survivrait
Au fracas tracassier de cet âne qui braie ?
Me voilà renfrogné, et plus encore à cran…
Puis, abattu, enfin, je m’endors en sacrant
Quand, sous ma fenêtre, repasse une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est quatre heures par la ville et ses poternes ! »
Maudit soit ce veilleur qui gueule, sentencieux :
« Dormez en paix, bourgeois, bonnes et braves gens :
Calme et repos, votre sergent va protégeant ! »

Plus exténué que jamais, la somnolence
Qui me venait, tout à l’heure, ne me relance
Qu’avec l’épuisement tardif de mon sommier.
Qui dit que les veilleurs nous quittent les premiers ?
Mais ma quiétude est brisée, ô fin du fin,
Par la relève du guet qui arrive enfin…
Or, à ma fenêtre, point une lueur terne ;
Déjà tonitruent, sur les pavés, les essieux…
Il est six heures et je suis plus blanc qu’une sterne.
Tu as enfin fini, gardien bien malicieux,
Ton nocturne labeur d’appels désobligeants,
Ce tapage incessant qui me fait rageant…
Or, comme le jour et la nuit toujours alternent,
Tu pars dormir chez toi, près du beffroi, Monsieur
Le guetteur que chacun, ici, souffre en silence.
C’est là que, toutes les demi-heures, en cadence,
Pour te passer l’envie de nous tyranniser,
Moi, je vais me venger et te tympaniser.
Car si toi tu es le veilleur, insigne honneur,
Je suis, ici-bas, le nouveau CA-RI-LLO-NEUR !

Illustration : Élisa Satgé, printemps 2017

lundi 27 juin 2011

HAÏKU PRÉ DU TRONC

Pour une « main baladeuse »
dépose-t-on une main courante ?

PROVERBES IRRÉGULIERS

C’est au pied des mûres qu’on voit mes garçons.

*

Pour vivre vieux vivons couchés.

**

L’agent n’a pas d’honneur.

***

Plus le linge sèche haut plus on voit qu’il a vécu.

PLUS DE VINGT ANS

Plus de vingt ans se sont glissés
Dans nos amours, dans nos pensées,
Sans réussir à les froisser,
Sans qu’on dise « C’est trop ! » ou bien « Assez ! ».

On nous dit souvent que tout passe,
Tout casse, tout lasse ou s’efface,
Que les ans, hélas, sont la nasse
Où s’essoufflent les mots que l’on ressasse.

J’ai cru ceux que j’ai répétés,
Depuis que tu as inventé
L’été en automne, entêté, 
Même si je n’ai su te les chanter.

Tu lis en moi comme en un livre,
M’aides à vibrer, veux bien me suivre
Jusques au bout de mes délires,
Sachant ce qui m’agace ou bien m’enivre.

Plus de vingt ans ont caressé
Mes jours cassés, mes nuits glacées,
Et sans jamais même émousser
Ce sentiment qui les a vernissé.

Sur mes tempes, Saturne trace
Mieux sa marche et, dans ma tignasse
Des traînées du sel s’entrelacent,…
Il n’a pas été vache ni vorace.

Je ne sais plus qu’être habité
De ta beauté, de nos nuitées
Quand l’ombre vient à te sculpter ;
Sans toi, je ne serais qu’un corps hanté.

Par ton sourire j’ai pu vivre,
Face aux guivres, mon chemin ivre ;
Grâce à tes yeux, j’ai pu poursuivre
Sans connaître la brume ni le givre.

Plus de vingt ans ont embrassé
Nos vies sans y créer d’espace,
Notre amour s’en est cuirassé
Quand d’autres, vite, se sont fracassées.

Tant pis si notre union agace,
Laisse de glace ou embarrasse,
Ceux qui ne savent qu’être en chasse
Ou qui ne croient pas ce qui les dépasse.

Tu as toujours su, sans douter,
Agrémenter et cimenter
Un petit bonheur velouté,
Désuet, inattendu,… culotté !

Pour toi, je veux faire revivre
Des mots qui dorment dans les livres,
 Fades, galvaudés mais qui livrent
La clé de tout ce que tu me fais vivre.

Plus de vingt ans sans rien casser
De ces souvenirs amassés,
Sans craindre l’avenir qu’on va passer,…

Plus de vingt ans sans se lasser
À t’aimer comme à t’embrasser
Et prêt, demain, à tout recommencer…

AU VIEUX MOULIN

Cycle toulousain

J’ai oublié le temps où tu moulais
Nos grains et blés dans les meilleurs délais,
Ce temps où, au fleuve, tu t’accolais
Car tu n’est plus qu’une île.
J’ai oublié l’année où une crue
Te sépara de nous, les flots bourrus
Ayant sur la rive, par trop, couru
Et depuis lors t’exilent.

Tu n’as plus que les étoiles pour toit,
Le vent pour murs et l’aranhe, chez toi,
A tissé des portes en fils de soie
Que personne n’effile.
Ruine devenue berge de buissons,
Échouée loin des terres à moissons,
Rive rongée de roseaux sans frisson,
Te voilà inutile.

Je ne sais rien non plus de ce Naudy
Qui te donna son nom, un peu maudit,
Quand la masse des massettes, pardi,
Ne t’offrait pas asile.
Naufragé d’un temps mort et enterré,
Tu restes fier, debout bien qu’enserré
Par des jonchées de joncs et lacéré
Par l’Autan versatile.

Perdu, un ciel souverain pour décor,
Tu bois la lumière de l’été encor’,
Sueur de soleil sublimant ton corps,
Seul parmi les saules.
Tu ne mouds plus que l’eau qui t’a tué,
Et qui passe toujours sans refluer
Pour lécher tes murs gris et saluer
Les galets qui l’épaulent.

Je me souviens de mon enfance, temps
Où je te rêvais Caravelle autant
Qu’îlot à Robinson quand le printemps
Te rendait plus fragile.
J’allais en silence te visiter.
On était peu, alors, à s’abriter
Chez toi : seul, l’être heureux, en vérité,
A l’amitié civile !

J’ai connu le temps où les vibrations
De l’astre renaissant, en variations,
Dans un azur de hasard, sans passion,
Te rendaient volubile.
Entre herbes folles et pluie de papillons,
Je guettais les remous, les tourbillons,
Les contours incertains de tes haillons
Que rognait l’eau hostile.

J’ai vu d’autres temps où l’orgue du vent
Et le clavecin de la pluie, souvent,
Faisaient vibrer tes briques nues, l’auvent
De fougères graciles.
Pourquoi donc mes jours si mal équarris,
Sculptés à la hâte de joies taries,
Façonnés à la hache d’envies marries,
Me ramènent ton île ?