Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

mercredi 29 juin 2011

RONDE DE NUIT

Cycle historique

À l’heure où dame la Lune bombe son ventre,
Le dos courbatu et les bras brisés, je rentre
Enfin prendre quelque repos bien mérité.
Défait, cassé, fourbu, je fonce m’aliter :
Au mépris de la faim qui m’étreint, je m’abats
De tout mon long, de tout mon poids, sur le grabat
Quand, sous ma fenêtre, se glisse une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est dix heures par la ville et ses poternes ! »
C’est le veilleur qui hurle et rajoute, spécieux :
« Dormez en paix, bourgeois et autres bonnes gens :
Du marchand de sable, je suis un bon agent ! » 
Les cris de ce dindon qui, nuitamment, se paonne
Me mettent, sur le champ, le roupillon en panne.
Je tourne, et retourne, dans mon lit brouillonné ;
J’ai l’œil rouge et hagard, l’esprit tout chiffonné.
Mais, les heures passant, la torpeur me reprend…
Délicatement, dans ses bras, Morphée me prend
 Quand, sous ma fenêtre, s’avance une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est minuit dix par la ville et ses poternes ! »
Encore ce veilleur qui meugle sous les cieux :
« Dormez en paix, bourgeois, bonnes et braves gens :
Les archers préservent vot’ sommeil, vot’ argent ! »

Le guet fait défiler sa patrouille en cohorte
- Et au pas cadencé ! - juste devant ma porte
Piétinant le somme que j’ai imprudemment
Commencé depuis peu, répit d’un bref moment
Volé à l’insomnie et aux bruits de la nuit…
Tard, à bout de tout, ma paupière vainc l’ennui
 Quand, sous ma fenêtre, circule une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est deux heures par la ville et ses poternes ! »
C’est toujours ce veilleur qui me beugle, insoucieux.
« Dormez en paix, bourgeois et autres bonnes gens :
Le contingent, pour vous, est toujours diligent ! »
À bout de nerfs, je lui balance drap, chaussure,
Chat, pot de chambre et plats. Une chose est bien sûre :
C’est un vrai supplice !… Quel être survivrait
Au fracas tracassier de cet âne qui braie ?
Me voilà renfrogné, et plus encore à cran…
Puis, abattu, enfin, je m’endors en sacrant
Quand, sous ma fenêtre, repasse une lanterne.
Résonne aussitôt sur les pavés silencieux :
« Il est quatre heures par la ville et ses poternes ! »
Maudit soit ce veilleur qui gueule, sentencieux :
« Dormez en paix, bourgeois, bonnes et braves gens :
Calme et repos, votre sergent va protégeant ! »

Plus exténué que jamais, la somnolence
Qui me venait, tout à l’heure, ne me relance
Qu’avec l’épuisement tardif de mon sommier.
Qui dit que les veilleurs nous quittent les premiers ?
Mais ma quiétude est brisée, ô fin du fin,
Par la relève du guet qui arrive enfin…
Or, à ma fenêtre, point une lueur terne ;
Déjà tonitruent, sur les pavés, les essieux…
Il est six heures et je suis plus blanc qu’une sterne.
Tu as enfin fini, gardien bien malicieux,
Ton nocturne labeur d’appels désobligeants,
Ce tapage incessant qui me fait rageant…
Or, comme le jour et la nuit toujours alternent,
Tu pars dormir chez toi, près du beffroi, Monsieur
Le guetteur que chacun, ici, souffre en silence.
C’est là que, toutes les demi-heures, en cadence,
Pour te passer l’envie de nous tyranniser,
Moi, je vais me venger et te tympaniser.
Car si toi tu es le veilleur, insigne honneur,
Je suis, ici-bas, le nouveau CA-RI-LLO-NEUR !

Illustration : Élisa Satgé, printemps 2017

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