Édito' pour RuedesFables (27 mars 2016)
« Comment devient-on fabuliste ? » Question osée à l’ours mal léché souventesfois posée. Pour se venger avec insistance d’un rat ou d’un rapace l’espace de quelques stances ? Pour dénoncer comme on apostrophe la buse ou le butor au long d’une strophe ? C’est basse vengeance pour vile engeance : cela fait des histoires mais n’en raconte guère. « L’esprit de l’escalier » ne sert qu’à descendre quand on est remonté : qui, las de buller, un peu cafard, de mauvais poil car on écaille son humeur, prend la plume pour affabuler ne compose que méchant drame sur mauvaise trame.
On n’épilogue pas plus ses apologues parce qu’on se croit supérieur à son voisin ou meilleur que son cousin mais peut-être parce que La Fontaine, auquel tant de générations s’abreuvent ver après ver, fait notre jouvence. Alors, juvénile d’âme et sénile d’années, on se prend à vouloir parler des autres et de soi car on ne s’économise guère à ce jeu-là qui n’épargne rien ni personne. Aussi parce que, son talent en moins, on se sent l’âme d’un témoin, lucide sur les aléas d’un monde cupide où l’insipide côtoie le stupide mais qu’on ne peut s’empêcher d’espérer, aimant ce prochain qu’on ne voudrait pas son pareil tant il nous est risée ou nous fait « criser ».
Alors, espérant que la postérité fasse notre prospérité, on passe par l’échoppe d’Ésope même si la rime ne paie plus – je sais ce qu’il m’en coûte ! – avec bienveillance, humanité et un sourire en coin. Puis l’on brosse en rosse la girafe restée en carafe ou un portrait d’après nature des travers du porc et du duc d’York, on peint les tares de l’ovipare du Tartare, on plaint les défauts du plus faux des gerfauts, on narre les vices de l’écrevisse de service, on se rit des imperfections du lion sans compassion, on glose sur les faiblesses de la tigresse ou de l’ânesse,… n’oubliant jamais que
« De tous les animaux qui s’élèvent dans les airs,
Qui marchent sur la terre ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme. »
Nicolas Boileau, Satires (1666)
Conscient que l’animal qui est en nous n’est pas le plus bête de la Création, on offre donc sans prétention, avec délectation, à nos pairs pas toujours spirituels et à leur descendance forcément unique, quelques nouvelles rimées. Ce ne sont qu’agrestes récits au langage urbain comptant leurs pieds sur les doigts de la main et contes bucoliques à dormir debout marchant sur la tête. Signés par d’autres que nos fabuleux fabulistes d’hier, pas encore consignés en volumes au poids d’enclume, ils disent le monde plus qu’ils ne dénoncent, désireux de faire cogiter un instant et de distraire longtemps sans que leur auteur qui, à force de se penser penseur, est devenu pansu, ignore qu’
« Il y a tant de gens dont c’est le gagne-pain de penser,
de nos jours, que ce petit livre refermé et oublié,
les occasions d’être profond ne vous manqueront certainement pas. »
Jean Anouilh, Avertissement hypocrite, Fables (1962).
Chacun trouvera donc chez le moraliste, qui est surtout un humaniste et non un prosateur moralisateur, dans l’une ou l’autre de ses bluettes, ce qu’il est venu y chercher… et peut-être même un peu plus. Les autres, rats de bibliothèque ou pies de salon, qu’insupporte l’esprit bon enfant du sale gosse qu’on ne cesse d’être à pratiquer cet exercice pour d’aucuns « scolaire » ou qui n’aiment les paraboles que lorsqu’elles les enchaînent à leur téléviseur, déploreront un insigne bestiaire en vers – certains diront « vers mi-sots » ! – digne d’un bestial bêtisier abêtissant… à défaut d’être appétissant oubliant qu’ « une fable est un pont qui conduit à la Vérité » (A.-I. S. de Sacy, Chrestomathie arabe, 1826), celle qui, éternelle, interroge depuis l’Antique nos petits égoïsmes et questionne nos sottes lâchetés… On ne saurait pâtir de châteaux de fables !
Fabuleusement vôtre !
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