Petite fable affable
Dans la nuit submergée par un flot d’étoiles
Qui, en légions, colonisent la pénombre,
Un âne, chargé comme une mule de voiles,
Allait son pas malgré l’obscurité, les ombres,
Les cris des bêtes noctambules et donc la peur.
Un renard l’avait convaincu, pour son malheur,
Qu’il est plus sûr et sage d’aller sous la lune
Seule tranquille que de trotter dans la chaleur
Parmi la foule des siens courant les dunes.
Bien fou qui, pour ses ennemis, délaisserait
Ses amis mais la race des baudets, c’est vrai,
Rêvant de faire profit de tout est hélas prête
À tout croire, y gagnant moins de poisson que d’arêtes !
Flétri en ces jours florissants, notre animal
N’avait jamais connu le jardin des délices
Et il sentait déjà qu’il approchait, sans mal,
De ce qui nous attend : l’abîme des supplices.
Alors pourquoi donc ne pas marcher de nuit
Même si c'est aller au-devant d’ennuis.
Croquant de grand chemin, un loup l’intercepte,
Le soulage d’une part du bât qui nuit
À son train. Lors de s’en délester il accepte :
Il ira plus vite et sera, ma foi, moins las
C’était gagner par deux fois dans ce halte-là.
Plus loin, d’autres lupins d’une autre part le privent
Il s’en défait heureux que pire sort n’arrive.
Il en fut ainsi tout au long du sentier :
Station imprévue, arrêt forcé,… La meute
Lui mit son bon dos à nu en entier.
Il avait tout perdu, fors la vie, et sans émeute
Ni dévier de sa route. C’était bien.
Comme lui avait dit l’ultime vaurien,
Qui l’avait lors détroussé : « La vie, on t’offre,
Bêta !… C’est cadeau qui vaut plus que ces biens
Que le commerce a serrés, matin, dans tes coffres ! »
Et l’âne ressassait, tout heureux, ces bons mots
Qui mettaient fin à son labeur et à ses maux.
Quand, à l’aube venant, au sommet d’une crête
Toute la meute de ses vils voleurs l’arrête…
« Vous m’avez tout pris, que voulez donc de plus ?
- La seule chose que nous attendions l’âne :
Ta chair qui va, là, nous sustenter tant et plus !
Tu vois, tout ce qui gênait pour bouffer ta couenne
On t’en a délivré… pour mieux en croquer !
Tu nous as tout livré… jusqu’à t’en défroquer
Nous remerciant presque de te laisser vie sauve,
Oubliant la parole de ces sages chauves :
“Donne au premier venu, donne à qui voudras
Mais choisis bien de qui, toi, tu recevras* ! ” »
* D’après Guillaume-Antoine Lemonnier, Volant & Mouchar in Fables, contes et épîtres, 1773 (fable IV)
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