Petite fable affable à peine réécrite* (La jarre félée)
Un paysan va tous les matins à son puits
Où ses deux seaux de fer d’ordinaire s’abreuvent.
Or l’un des deux a une blessure et, depuis,
Des filets d’eau de sa plaie apportent la preuve.
Et, pour cette raison, notre homme s’obligeait,
Dès le lever du jour, à deux ou trois voyages
De plus, perdant eau en route. Sans ménager
Son temps ni ses efforts, malgré le temps et l’âge,
Il désoiffait ainsi maison et potager.
Remisés au pied du puits après leur office,
En jouant de l’anse, en béant de l’orifice,
Comme on se dispute, nos deux seaux discutaient.
Là, celui qui remplissait sa fonction sans faille,
Être intact mais sans tact, toujours asticotait
Son frère, érodé par le labeur, qui défaille.
« Il n’y a de place, ici, que pour qui travaille
Bien et beaucoup. Pas pour qui est bon à jeter ! »
De tels propos blessent alors qu’on vous les baille
À dessein de meurtrir. Mais quand c’est un parent
Qui vous les sert ainsi, c’est plus que déchirant !
Et un matin, le seau troué s’en ouvre au maître :
« Je me sens coupable et te prie de m’excuser :
Je ne puis plus devant toi, décemment, paraître !
- Pourquoi pleurer, ami, c’est chose singulière ?!
- Toute honte bue, va, verse-moi au musée :
Je fuis comme un panier. Et, des heures entières,
Par ma faute, tu vas et viens, à t’en user,
Doublant jusqu’à ce trou tes courses, pauvre hère…
- Tu es bien abîmé, certes, reprit notre homme,
Et même fort rétamé ; tu en souffres en somme
Mais, depuis tant d’années, je ne t’épargne pas…
Ami pansu, c’est vrai que tu perds et ruisselles.
Cela mérite-t-il, pour autant, le trépas ?
Non. Tu ne serviras pas, non plus, de faisselle :
L’eau que tu sues, qui pleut, à chacun de mes pas,
Fait pousser bien des fleurs sous la pluie de tes gouttes !
Ni toi, ni ton frère, ne les ont vues, sans doute.
Ma fille aujourd’hui, et feu ma femme avant elle,
Allant faire, à la margelle, ses ablutions
En cueille des brassées. De ces humbles mortelles,
Elle égaye sa vie, en toute discrétion
Embaume ma maison,… Toutes ces bagatelles,
Qui nous font tant de bien, soit dit en confession,
Ne coûtent presque rien mais rendent nos vies belles…
Mon labeur, seul, ne peut lui offrir ces cadeaux.
Aussi que m’importent mes pas, mes bras, ou mon dos… »
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