Petite fable affable
« Apprenez à rire, mes jeunes amis,
si vous tenez à rester pessimistes. »
F. Nietzsche, Zarathoustra.
Alors que les grillons bavards des guérets
Sont taquinés par d’aimables demoiselles
Dont le discours bruyant est sans intérêt,
Ça bêle auprès d’une fraîche oiselle.
C’est Jeanneton, qui file un mauvais coton.
Elle garde tous ses bons et blancs moutons
Broutant, à l’abri de furtives fougères,
L’ombre rase des brins et bouts de bruyère,
Parqués, surveillés comme de pauvres hères.
Or de fariboles en billevesées,
De fadaises en quolibets, ces ouailles,
Sur « La Liberté » viennent à deviser.
Car, goûtant la causerie comme volaille,
Nos ovins n’en ont pas moins des idées :
Ils sont élevés, non dressés, et guidés,
Non domestiqués, restant donc fort sauvages
Et rebelles comme l’est l’Homme au bel âge,
Avant qu’il n’accepte, lui aussi, sa cage.
Pour être libres, il leur faut fuir. Jeanneton
N’a rien pour flanquer la courante ou la trouille.
Pourtant ça cause chez nos mutins moutons
Parce qu’avec le chien, laisse tombée, ouille !
Peur et doutes ont résolution entamée.
Les « on devrait si… » et les « on pourrait mais… »
Jouent sur les esprits et raflent des suffrages :
La dispute les divise et les enrage ;
Pour un peu, ils nous en feraient un fromage !
Dans ce débat, les grosses têtes ne sont
Pas les plus fortes, alors que les fortes têtes
Ne sont pas les plus solides : passion
Et tensions font deux grands clans qui s’entêtent.
Sollicité, le plus ancien du troupeau
Prédit aux ovins las des joueurs de pipeau :
« “Désunis, nous courons à la catastrophe ;
Unis nous y parviendrons*”. Fin d’apostrophe ! »
Et réconcilia tous les faiseurs de strophes…
* Émil Cioran (1911-1995)
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