Édito' pour RuedesFables, mars 2017
Cent ans après les Humanistes M. de Montaigne et E. La Boétie, homme d’écrits venant du cœur, l’optimiste XVIIe siècle prétendait faire de tout individu, esprit faible ou forte tête, un « parfait honnête homme » ; la centaine d’années qui lui succéda dignement voulait, avec les Lumières les plus éclairées, amender la société dans laquelle il s’insérait. Aussi, bien des poètes et nombre de prosateurs se sont en ces temps-là adonnés, en pédagogues plus qu’en précepteurs, à l’apologue alors que le poivre des emmerdes mettait du sel dans leur vie qui aurait tourné vinaigre s’ils n’avaient mis un peu d’huile dans ses rouages. Le genre ne les avait pas attendus au coin de la rue ni du bon sens mais force est de constater qu’il avait perdu, vu son âge, de la vigueur et de l’intérêt si ce n’est de la puissance ou de la pertinence en vers et contre tous. De quoi en rester, quand on parle avec intention et écoute avec attention, prose par terre… et le nez en l’air.
Ces « moralistes » modestement blasonnés pour d’aucuns - J. de La Bruyère, A. Houdar de La Motte, J. de La Fontaine. J.-J. (de ?) Rousseau, J.-P. Claris de Florian,… - dont l’adresse n’était pas que postale, déambulent encore sous les becs de gaz du lieu où vous êtes. Ils observaient avec intérêt mais, paradoxalement, de façon désintéressée, une vie devenue si quotidienne qu’on en oubliait qu’elle pouvait se regarder autre chose que le nombril et autrement qu’affligé par sa banalité. Ne souffrant pas la souffrance, ils n’ont jamais prétendu formuler un système de valeurs nouvelles, urbi et orbi, ni imposer des règles de conduite à autrui. Ces virtuoses du verbe et voltigeurs du vers, un sourire bienveillant au coin des lèvres, ont témoigné de La comédie humaine avant le très honoré de Balzac. Sans se prendre vraiment au sérieux ni au pied de la lettre, ces petites natures éprouvant de grands sentiments n’ont jamais oublié que « la morale des fables est un reflet de celle des comédies. Elle est douce et tout aimable ; s’il y a des malices, elles sont spirituelles, jamais cruelles » (J. Arnoux, La Morale d’après les fables…, 1909) ni plus lourdes qu’une femme légère car ces professeurs-là n’étaient pas des donneurs de leçons ! En instruisant leurs contemporains, et leur progéniture, ces hommes de tête ayant l’esprit de corps faisaient appel à la Raison comme à la sensibilité, pour qu’édifiés, ils deviennent moins vertueux que bonifiés, donc heureux… le monde le devenant, dès lors, tout autant : « le but de la vie, ce n’est pas l’espoir de devenir parfait, c’est la volonté d’être toujours meilleur. » (R. W. Emerson). C’est là propos d’éducateur et non d’enseignant, quelque précepte on ait à faire passer par l’agrément d’une langue soignée et le plaisir de ce (sou)rire qui soigne les plaies que les larmes pansent. C’est pour cela, malgré tout que l’école, et pas seulement primaire, doit conserver et transmettre leur œuvre même si la fable n’est pas, a priori, faite pour les enfants car avant de chercher son chemin… il faut apprendre à marcher. Et “droit”, de préférence, sans baliser toutefois, pour soi plus que pour autrui, car il ne s’agit ni de conformisme social ni de dressage moral. Au contraire, ces conteurs que d’aucuns ne peuvent voir en peinture le rappellent à dessein : à vouloir rentrer dans un moule, même si ce n’est pas du gâteau, on finit tarte… et puis tout être égaré n’est pas perdu pour autant ; se chercher, c’est le lot, ici-bas, un jour ou l’autre, de tout un chacun. Et nous n’avons pas, brasseurs embarrassés de boue et de broutilles, à proximité, « une salle des pas perdus » pour se retrouver entre insolence humaine et l’indolence divine ! À l’heure où les médias plutôt que de se donner du fond le touchent, il se dégage à la lecture de ces philanthropes en rien misanthropes, une philosophie positive qui ne dit pas son nom et une espérance humaniste qui ne se cache pas à l’égard de ces « roseaux pensants », prompts à plier sous tout vent dominant ; à force de mauvais penchants, ils tombent plus souvent que les chênes : belliqueux et polémistes, le front bas, ils sont toujours sur le pied de guerre ou se sentent d’attaque pour en commencer une, en paix avec eux-mêmes, les cheveux en bataille et l’esprit en révolution. Bref, ils ne nous offrent que perspectives désespérantes et cruelles désillusions. La façon de voir l’Homme qu’ont les fabulistes est le fruit d’une « lucidité critique » plus que d’un « esprit critique », expression aujourd’hui usitée pour excuser le dénigrement, donner des lettres de noblesse au mépris, ériger au rang d’art oratoire ou d’humour l’insulte,… car pullulent comme puces ceux qui s’offrent, à bon compte ou au prix de mauvais calculs, bonne conscience parce qu’ils ont mauvaise mémoire : leur discours, un peu court, tient du « faîtes ce que je dis non ce que je fais ! » quand ils se hasardent à parler d’eux sur le ton de l’infamie / l’incongruité (rayer la mention inutile). L’irremplaçable Pierre Desproges remarquait, incidemment, que l’on disait « l’Homme » mais « les animaux » pour évoquer ces deux espèces qui, bon an mal an, cohabitent en ce monde, bon gré mal gré. Il ajoutait, non sans malice que si les animaux faisaient des crottes, l’Homme, lui semait la merde. Tout est là : les animaux nous paraissent bêtes depuis que nous nous croyons intelligents. Alors, mieux que tout et à défaut du reste, la fable nous apprend à garder la tête haute quand on a le cul par terre, conscient du ridicule et de l’infatué d’une telle proposition. Intemporelle, plus qu’un genre littéraire ou un remède, par lequel on s’épanche pour ne pas tomber, elle est une religion qui n’exige aucun rite ni ne demande de culte. Éternelle et universelle, elle est la croyance en cet être humain, gueule d’ange ayant le diable au corps, en rien idole surtout s’il est édile. Et, croyez-moi, nourrir au sein du verbe frais et parfois cru pareille piété est des plus méritoires : laissant toute idée au logis, même quand on est homme de livres, et même de 200 livres, avoir foi en l’Homme, imparfait de nature et corrompu par culture, c’est plus difficile que croire en un Dieu, quelque nom qu’on lui donne, par essence parfait ! Fabuleusement vôtre !
Ces « moralistes » modestement blasonnés pour d’aucuns - J. de La Bruyère, A. Houdar de La Motte, J. de La Fontaine. J.-J. (de ?) Rousseau, J.-P. Claris de Florian,… - dont l’adresse n’était pas que postale, déambulent encore sous les becs de gaz du lieu où vous êtes. Ils observaient avec intérêt mais, paradoxalement, de façon désintéressée, une vie devenue si quotidienne qu’on en oubliait qu’elle pouvait se regarder autre chose que le nombril et autrement qu’affligé par sa banalité. Ne souffrant pas la souffrance, ils n’ont jamais prétendu formuler un système de valeurs nouvelles, urbi et orbi, ni imposer des règles de conduite à autrui. Ces virtuoses du verbe et voltigeurs du vers, un sourire bienveillant au coin des lèvres, ont témoigné de La comédie humaine avant le très honoré de Balzac. Sans se prendre vraiment au sérieux ni au pied de la lettre, ces petites natures éprouvant de grands sentiments n’ont jamais oublié que « la morale des fables est un reflet de celle des comédies. Elle est douce et tout aimable ; s’il y a des malices, elles sont spirituelles, jamais cruelles » (J. Arnoux, La Morale d’après les fables…, 1909) ni plus lourdes qu’une femme légère car ces professeurs-là n’étaient pas des donneurs de leçons ! En instruisant leurs contemporains, et leur progéniture, ces hommes de tête ayant l’esprit de corps faisaient appel à la Raison comme à la sensibilité, pour qu’édifiés, ils deviennent moins vertueux que bonifiés, donc heureux… le monde le devenant, dès lors, tout autant : « le but de la vie, ce n’est pas l’espoir de devenir parfait, c’est la volonté d’être toujours meilleur. » (R. W. Emerson). C’est là propos d’éducateur et non d’enseignant, quelque précepte on ait à faire passer par l’agrément d’une langue soignée et le plaisir de ce (sou)rire qui soigne les plaies que les larmes pansent. C’est pour cela, malgré tout que l’école, et pas seulement primaire, doit conserver et transmettre leur œuvre même si la fable n’est pas, a priori, faite pour les enfants car avant de chercher son chemin… il faut apprendre à marcher. Et “droit”, de préférence, sans baliser toutefois, pour soi plus que pour autrui, car il ne s’agit ni de conformisme social ni de dressage moral. Au contraire, ces conteurs que d’aucuns ne peuvent voir en peinture le rappellent à dessein : à vouloir rentrer dans un moule, même si ce n’est pas du gâteau, on finit tarte… et puis tout être égaré n’est pas perdu pour autant ; se chercher, c’est le lot, ici-bas, un jour ou l’autre, de tout un chacun. Et nous n’avons pas, brasseurs embarrassés de boue et de broutilles, à proximité, « une salle des pas perdus » pour se retrouver entre insolence humaine et l’indolence divine ! À l’heure où les médias plutôt que de se donner du fond le touchent, il se dégage à la lecture de ces philanthropes en rien misanthropes, une philosophie positive qui ne dit pas son nom et une espérance humaniste qui ne se cache pas à l’égard de ces « roseaux pensants », prompts à plier sous tout vent dominant ; à force de mauvais penchants, ils tombent plus souvent que les chênes : belliqueux et polémistes, le front bas, ils sont toujours sur le pied de guerre ou se sentent d’attaque pour en commencer une, en paix avec eux-mêmes, les cheveux en bataille et l’esprit en révolution. Bref, ils ne nous offrent que perspectives désespérantes et cruelles désillusions. La façon de voir l’Homme qu’ont les fabulistes est le fruit d’une « lucidité critique » plus que d’un « esprit critique », expression aujourd’hui usitée pour excuser le dénigrement, donner des lettres de noblesse au mépris, ériger au rang d’art oratoire ou d’humour l’insulte,… car pullulent comme puces ceux qui s’offrent, à bon compte ou au prix de mauvais calculs, bonne conscience parce qu’ils ont mauvaise mémoire : leur discours, un peu court, tient du « faîtes ce que je dis non ce que je fais ! » quand ils se hasardent à parler d’eux sur le ton de l’infamie / l’incongruité (rayer la mention inutile). L’irremplaçable Pierre Desproges remarquait, incidemment, que l’on disait « l’Homme » mais « les animaux » pour évoquer ces deux espèces qui, bon an mal an, cohabitent en ce monde, bon gré mal gré. Il ajoutait, non sans malice que si les animaux faisaient des crottes, l’Homme, lui semait la merde. Tout est là : les animaux nous paraissent bêtes depuis que nous nous croyons intelligents. Alors, mieux que tout et à défaut du reste, la fable nous apprend à garder la tête haute quand on a le cul par terre, conscient du ridicule et de l’infatué d’une telle proposition. Intemporelle, plus qu’un genre littéraire ou un remède, par lequel on s’épanche pour ne pas tomber, elle est une religion qui n’exige aucun rite ni ne demande de culte. Éternelle et universelle, elle est la croyance en cet être humain, gueule d’ange ayant le diable au corps, en rien idole surtout s’il est édile. Et, croyez-moi, nourrir au sein du verbe frais et parfois cru pareille piété est des plus méritoires : laissant toute idée au logis, même quand on est homme de livres, et même de 200 livres, avoir foi en l’Homme, imparfait de nature et corrompu par culture, c’est plus difficile que croire en un Dieu, quelque nom qu’on lui donne, par essence parfait ! Fabuleusement vôtre !
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