À mon grand-père
On l’a mis apprenti au maréchal-ferrant.
Lui vit qu’ « il avait le don » avec les chevaux :
Ce jeunot leur parlait, en faisait de doux veaux…
Alors La Ferme en fit son valet. Premier rang.
Il dressait les bêtes à l’accepter, puis brillamment,
À tracer des sillons, longs comme un jour sans pain,
Et droits comme un trait de crayon. Patiemment.
D’une main bien ferme mais douce. Sans pépin.
Il les habituait au charreton chargé
De grains pour les chevaux des quelques garnisons
D’en ville où il les menait, par foule et maisons,
Autos et tram’, sans rien verser ni diverger.
Comme des êtres chers, il pansait et aimait,
Au village comme aux champs, ces dons du Créateur.
À leur pas allaient ses journées, de mai à mai,
Puis, par chez nous, rugit le moteur des tracteurs…
On fit mécanicien le maréchal-ferrant.
On remisa, un à un, tous ses bons chevaux
Car ils ne vaquaient plus à leurs humbles travaux,
Ne trottaient pas non plus, le temps s’accélérant.
Le Fermier lui donna son tout dernier bourrin,
Un bourru que d’autres avaient rudoyé
Quand lui n’avait que des caresses pour ses reins ;
Il fit une écurie, l’a soigné et choyé.
Il conduit la bête à l’accepter, puis lentement,
À tracer des sillons, longs comme un jour sans pain,
D’une main toujours ferme et douce, sans pépin,
Des rides droites comme un vieil accotement.
L’appétit du Temps qui piaffe est sans apathie :
Ils vieillirent ensemble, hélas, et pas à demi,
Puis, sans regimber, la bête, seule, partit.
Je sais qu’il l’a pleurée comme on pleure un ami.
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