Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

samedi 15 novembre 2014

PRINTEMPS 1915

Dans le boyau tout n’est qu’ombre et boue,
Regards froids, fiévreux ou hagards,
Mutisme dans le calme ou la mitraille,
Nerfs tendus qui vous tiennent debout…
Qu’on s’appelle Edgard ou qu’on soit sagard,
Notre tombe est hors, et dans ces murailles…

Dans le boyau, sachant notre avenir
Inscrit aux trous du sol, au gris du ciel,
Comme au cœur des coquelicots plus rouges
Que notre sang, tout n’est que souvenirs
Car rêver devient pêcher véniel
Pour l’instit’ ou le manieur de gouge…

La tranchée a pris notre Humanité
Comme, un soir, elle prendra notre vie
Après avoir tué l’Espoir, l’Envie,…
Et rendu jusqu’au plus croyant athée.

Dans le boyau, chacun mange sans goût
Et boit sans joie se sachant condamné :
Après la fumée de la cigarette,
Au milieu des rats de cet égoût,
Viendra le canon qui va glaner
Sa moisson de corps par-dessus la crête.

Dans le boyau, c’est silence : on écrit ;
La bête brute, pour un temps, n’est plus
Bien qu’au dehors ça tonne, explose et gronde.
Au loin, noyé de bruits, s’entend un cri :
Pluie et poussière, au revers du talus
Mais « Marche et crève ! » partout à la ronde.

La tranchée a pris notre Humanité
Comme, un soir, elle prendra notre vie
Après avoir tué l’Espoir, l’Envie,…
Et rendu jusqu’au plus croyant athée.

Dans le boyau, on attend feu et fer,
On craint la blessure plus que la mort ;
Cette dernière heure viendra sans larme :
Elle nous délivrera de cet enfer
Qui nous fait bêtes brutes et simple corps
Sans âme, seuls, accrochés à notre arme.

Dans le boyau, on patauge et ça pue,
On s’englue dans le bran, la peur, le sang,…
Mêlés de boue sale et d’ombres vampires.
Dans le boyau, vivre est mot corrompu
Mais le quitter est dur, chacun le sent,
Car, là, hors du boyau, crois-moi, c’est pire !

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