Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

mercredi 5 septembre 2018

LA CENTENAIRE

Cycle toulousain

Au bon temps de nos mémés mémérisantes
Des bonnes-mamans, des mamies tant aimées,
On allait, quand nous venait l’ombre rasante
Des étés surchauffés où même brêmer
Fait choper la suée et tomber la chemise
Quel que soit l’endroit, quelle que soit la mise,
« Voir la centenaire », un monument local
À visiter, la fierté du village, 
Accessoirement voisine nôtre. Cal
So que cal ! Et nous, les pitchouns, si peu sages,
Prou hardis !, on allait en grand attelage,
Recevoir « la bénédiction de l’âge ».

Et alors que l’on finissait tous d’entrer
Nous accueillait d’oc une vieille sans âge,
Tarabustée de rhumatismes, cloîtrée
Là depuis sa jeunesse, avec pour équipage
Une archivieille, collée dans le cantou
D’une cheminée allumée tout l’an et noire
De suie, sourde plus qu’assez, aveugle itou.
De sa livrée sombre émergeait sa face ivoire,
Ridée comme pomme l’hiver et des mains 
Diaphanes où sinuaient de bleus chemin.
Sa fille parlait pour elle, ses histoires
Repapiant, louant hier non demain.

Dans la grande cuisine peuplée d’ombres,
Pièce de vie, sol de terre battue,
Assis dans la grande cuisine obscure,
Pièce de vie, sol de terre battue,
Dans le malaise que l’inconnu procure,
On se trantolait le caquet rabattu,
Contraints au silence, « miracle de l’âge »
On se devait de t’admirer, tes ravages
Sautant pourtant vite à nos jeunes yeux !
Mais on se picaniait quand même, en douce,
Quand cette Ancienne, oubliée des Cieux,
Siesteuse, sans dents, ronflante frimousse,
Partait taquiner les anges ocieux ;
Sa fille, au coin des lèvres, essuyant sa mousse.

Nous on aurait vaqué de par le pays
« S’iou plet ! » - plutôt qu’avec cette tremblante
Image de Mort s’enfermer, ébahis
Qu’on vive ainsi, esbaudis - accablante
Réalité - que l’on se tirât encore ici,
Corvée de cœur pour tout le voisinage,
L’eau du puits, qu’on vint des tous les parages
Leur porter des légumes de nos jardins,
Qu’on leur disait « faits en trop », quand bien même
Ce n’était pas vrai, pour étancher leur faim.
La pénombre venant, chacun, comme nous-même,
Rentrait lors en sa chacunière. Enfin.

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