Edito' pour RuedesFables (27 avril 2016)
Au siècle des CD, la fable serait décédée. Un éditeur me l’a affirmé alors que je lui proposais le fruit artisanal de ma coupable industrie. Pour lui rendre les derniers honneurs, de leçons donneur, il m’a affirmé que ce genre n’était que bluettes désuètes, anachroniques chroniques, prose prosaïque et archaïque,… C’était sa conviction ancrée à défaut d’être encrée. Dans l’ombre lugubre, la fable moribonde que j’aime en vers et contre tous, aurait été rongée par eux, victime du temps qui ne nous passe rien et trépasse tout. L’oubli la guettant, ensevelie dans la tombe de mépris où l’on tient nos aînés, la cadavérique Faucheuse l’aurait cannée après une agonie sans lustre de plusieurs décennies. Elle n’était plus, insista-t-il, que dépouilles et rouille de citations tout justes bonnes à faire de tristes tomes sweet home ou de sinistres recueils à valeur de cercueil. Pourtant, quand « la Poésie n’était au premier âge qu’une Théologie allégorique, pour faire entrer au cerveau des hommes grossiers par fables plaisantes et colorées les secrets qu’ils ne pouvaient comprendre » (P. de Ronsard, Abrégé de l’art poétique français, 1565) on inventa l’apologue lequel, pour un fantôme, avait, en corps, de beaux restes. Mais « l’oraison du plus fort… » comme disait, jadis, ma momie !
D’après ses sources qui ne sont pas de la plus pure eau, je l’avoue, cette accorte compagne nous aurait quittés en nos vertes campagnes et en ses blanches années dans une solitude longue comme l’éternité, plus personne ne la visitant. Tous les fabulistes sont morts et enterrés (sic)… donc il était normal - et moral - qu’elle le soit aussi. Or personne ne m’a convié à la mise en bière ni en terre de la défunte. Pourtant, Rue des Fables, à bonne adresse, on croise encore, sans cesse ni presse, cette pseudo-absente sur les routes pavées des meilleures intentions et carrossées des plus infernales rosseries, dans les chemins de traverses de nos travers et les sentes les moins décentes de nos montées au créneau. Bien vive par la mémoire, et fraîche pour le ton et le teint, elle y fait toujours livraison de ses déraisons sans rime ni raison. Sauf le respect que je ne dois pas à cet embaumeur de livres, je ne lui ai vu en rien l’aspect d’un spectre, chère Électre. Là, non plus, on n’a pas dû recevoir de faire-part cerné de noir au nom de la chère disparue. Difficile donc d’en faire son deuil.
Pas d’avis de décès non plus dans la presse. Je n’ai pas trouvé à la rubrique nécrologique : « Après plusieurs siècles de bons et joyeux sévices, Acta es fabula. » Cette soldate méconnue d’une guerre qui est toujours à refaire, n’a pas eu droit à un bouquet final ni à la couronne au ruban moiré qui conviendrait mieux à sa royale majesté. Pas non plus de funérailles nationales en grande pompe, au milieu de compassés et d’autres restés dans leurs petits souliers. Si j’avais su le drame de cette disparition, au lieu de revenir à mon petit tas de fables à chaque plage de temps libre que submerge le linceul d’écume de jours semblables à eux-mêmes, bordés de pas grand chose et de petits riens, j’aurais versé un tombereau de roses sur son tombeau et prononcé quelques mots de circonstance,… Mais, au fait, cette tombe où est-elle ?… Auriez-vous incinéré feu la fable, damné Croque-Mort, vous qui l’avez condamnée ?!
Quand cela adviendra si jamais pareille mésaventure nous échoit, ossuaire funeste du dernier soir, je ne mettrai pas de crêpe noir mais en retournerai une à ce docte éditeur promis à un macabre sommeil aussi éternel que son monde de néant : je ne ferai pas partie de son cortège funèbre ; il n’y a que le premier trépas qui coûte. Avec cette humeur que j’ai, grâce à lui, aussi mauvaise que la vue, je saluerai du chef la longévité de celle qui témoigne, en vraie originale plutôt qu’en fosse commune, que partout et toujours, les heures sont troubles et les mœurs à deux roubles. Car…
« Si la vérité vous offense,
La Fable au moins se peut souffrir :
Celle-ci prend bien l'assurance
De venir à vos pieds s’offrir,
Par zèle et par reconnaissance. »
(Jean de la Fontaine, Le lion amoureux, Fables, IV, 1).
Les lecteurs de ce site, chaque jour, prouvent que « la chronique d’une mort annoncée » par ce fossoyeur pressé… sera celle de sa maison d’édition qui n’a pas compris que notre temps qui court moins qu’il ne claudique a plus que jamais besoin de valeurs et de repères… Et puisque l’asile poétique ne leur sera pas donné dans son catalogue, que Rue des Fables soit toujours leur repaire… et même leur repère !
Fabuleusement vôtre !
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