Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

lundi 21 septembre 2020

UN TESTAMENT PAS SI BÊTE…

Petite fable affable d’après
Le testament de l’âne de Rutebeuf (XIIIe s.)

Ne connaissant pas d’autre loi que son caprice
Notre si bon curé avait bonne paroisse.
Quand d’autres prieurs, mendiants, la poisse !,
Vivaient de la charité de pauvres jocrisses
Et de l’aumône de miséreuses nourrices,
Lui touchait une dîme généreuse emplissant
Ses greniers et armoires à plus de dix pour cent !
Mais ce ladre n’était prodigue qu’en caresses
Pour son vieil âne allant à toute besogne,
Le pied sûr et l’humeur toute d’allégresse.
Or notre avare prêcheur, au retour des cigognes,
Perdit sa bête, son ami que, sans vergogne,
Il pleura autant que le sou qu’il perdit un jour
À cause d’un trou de poche qu’il maudissait toujours.

Et, considérant qu’il avait été le plus fidèle 
De ses fidèles, le plus amène et docile
De ses paroissiens, à la lueur des chandelles,
Il l’enterra, malgré l’avis de maints conciles,
En terre consacrée comme un fils de Dieu.
Ce fut pour ses ouailles blasphème odieux.

On en avisa l’évêque toujours en quête
De quelque affaire pour arrondir sa bedaine.
Mais le prélat le sut. Avant que requête
Lui vint du diocèse, il courut dans la quinzaine
Auprès de l’Autorité pour apaiser sa haine.
« Le cimetière est le repos des baptisés,
De qui a conscience et âme aseptisée ! 
Non charnier pour de vulgaires sacs à puces
Et autres parasites. Nous soient-ils des proches !…
On en a brûlé pour moins que ça chez les capuces ! »

Après avoir été agoni de reproches,
Notre officiant voulut, par habile approche,
Qu’il l’entendît, seul à seul, en confession.
Le primat lui offrit son approbation :
« Oc, j’ai péché, Monseigneur, vous êtes mon juge
Devant Dieu. Je me repens d’avoir mon âne
Inhumé de la sorte. Œuvrant en mon refuge
Sans compter sa peine, sans faire de grabuge,
Il touchait une pièce par jour. Cette manne
Il économisa. Quand vint la faux sans saveur,
Il testa ses économies en votre faveur.
Ajouta le révérend en montrant une bourse pleine
Que l’évêque aussitôt égara en ses poches.
Le tout contre un coin de terre sainte. C’est peine
D’accepter mais comment refuser un peu de laine
Pour réchauffer l’Eglise et faire résonner ses cloches.

- La divine miséricorde est infinie, 
Mon fils, va en paix. Pour moi, l’affaire est finie ! »

Quiconque a de l’argent assez et de jugeote
Un peu, décrottera au plus vite ses bottes.
Ainsi nous l’apprit le très sage Rutebeuf
Qui n’eut hélas, ici-bas, ni âne ni bœuf…

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