Petite fable affable
Dans toute l’inconscience de leur jeunesse,
Des grenouilles, dans leur mare, ayant trouvé
Une barcasse dont l’amarre achevait
De rouiller, ont décidé, hélas ânesses,
De fuir leur vieux pays, proches et prochains
Pour se découvrir une patrie nouvelle
Que celle où sont nés ces têtards sans cervelle
Qui se voulaient aussi savants que malins !
Leurs vieux parents les disaient génération
Condamnée à passer du « bof ! » de leurs phrases
Au « beauf » d’une vie où, toujours, tout vous rase.
On sait, chez nous, que toute génération
Est considérée comme « perdue », pauvrette,
Par celle qui l’a engendrée, éduquée,…
Ce qu’ignorent nos batraciens ensuqués
Par une destinée fort peu guillerette !
Pour nos jeunots, en plus de les sucrer,
Ces vieux-là, ramenaient un peu trop leurs fraises,
Car ils ne savaient pas que faire les frais
De la conversation, sans parler de braise,
Coûte moins, ma foi, qu’être payé de mots.
Mais ayant quitté l’âge des grenouillères,
Nos balourds, n’affrontant guère d’autres maux,
Allaient par les nénuphars la crête altière.
Ces empattés de frais refusaient l’aiguillière
Que leurs pères, plus que bons pour le linceul,
Tendaient les faisant passer pour serpillières
Ou bien sots… y arrivant très bien tous seuls.
« Quoi ? » et « Pourquoi ? » faisaient leur vocabulaire.
Même à la mare, qui n’a dix mots con sent
Bien qu’une allusion suffise, mais bien claire,
À faire illusion chez ces gens bondissants.
Leur bêtise consolait la lune, en perme,
De la sienne et rendait plus intelligents
La larve et l’Ancien. Déluge diligent,
Les bons mots pleuvant dru de leurs mauvais termes,
Firent agir ces jeunes peu sagement :
Las, au lieu de mener leur mare au grabuge,
Ils décidèrent de quitter leur refuge,
De découvrir un monde, au loin, sans tourments.
Cette barque, elle, serait leur caravelle.
Le talent est la modestie du génie :
Nul ne s’inquiète, bête comme civelle,
Que personne, chez ces batraciens bénis,
Ne sait manœuvrer cet esquif qu’on libère.
Il va donc à hue et à dia, lent, sur l’eau
Qu’il ride sans bruit, plein de pré-pubères,
Équipage de fortune et matelots.
Après des nuits et des jours de longue errance,
Nos coasseurs conquérants touchent au but
- Tant mieux car plus d’un a mouillé son calbut ! -
Abordant un lieu que n’ont pas rendu rance
Leurs pères qui sont ordres et préjugés.
Ils accostent donc et partent reconnaître
La terre promise par Dieu adjugée ;
Une nouvelle ère allait pouvoir naître.
Hélas, ils n’avait pas fait trois petits sauts
Qu’ils sont entourés par leurs pères qui se marrent :
Sachant vents et courants, pour les vieux, ces sots
Ne pouvaient faire qu’un vain tour de leur mare !
Sans charbonner par trop mon temps et ses mœurs
Ni, las, farder la vérité à outrance,
Je crois et crains que les jeunes, enfumeurs,
Pensent tout savoir ou inventer dès l'enfance.
Illustration : Camille Lesterle, octobre 2014
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