Cycle toulousain
En haut d’un de ces champs où courait mon enfance,
Dans le vallon de mes souvenirs reverdis,
Tout au bout d’un chemin de terre en déshérence,
J’ai laissé sous un ciel de mai, pauvre étourdi,
Une vieille ferme. Oui, une « borde basse »,
Comme disaient les voix tendres aux accents rugueux
Des ménines que la mort oublie dans l’impasse
De la vie, en foulard noir et souliers fangueux.
Au soleil, à la pluie, ses briques semblaient fondre
Sous le crépi fendu, le torchis décrépit,
Gardant l’espoir de temps meilleurs sans se morfondre ;
Et tant pis s’ils ne sont jamais venus ; i’a pis !
Les rideaux délavés pendus à la fenêtre
Regardaient, sous leurs plis paisibles et empesés,
Passer le vent, changer les saisons et les êtres
Qui, toujours à causer, n’étaient jamais posés.
Parfois, le poulailler s’agitait. « Ōc, sans doute
Le renard ! » nous disait l’Ancien, sous l’amandier,
« Mais les gous l’ont senti, ils sont déjà en route.
Écoutez !… Y’aura pas besoun d'un brigadier ! »…
Il riait de bon cœur puis partait à la chasse
Pour promener un peu son fusil et ses chiens
Par les bois, par les blés. Jamais lièvre ou bécasse
Ne l’a craint, même un peu, l’arme à feu du doyen !
Ici, goutte-à-goutte, les heures s’écoulaient,
Patientes et obstinées, au cadran de l’horloge
Qui marquait moins le temps que le décor réglé
Des veillées qui faisaient oublier boues et bauge,
Le labeur des labours précédant les semailles,
L’heure des Rogations annonçant les moissons,…
On fêtait mariage, naissances et funérailles,
Fenaisons, vendanges, pèle-porc,… sans façon.
La glycine courait sur la façade nue.
Les femmes allaient, venaient, de l’étable à la table
Et de la soue à la soulharde à pas menus.
Elles régnaient sur la maison, aimables, affables,
Près de la cheminée, sous les poutres noircies,
Embaumées par le flot de ces odeurs paisibles
De ragoûts, de graillon, de fritons, de farci,…
Assise dans l’âtre Mémée veille, invisible.
Sur le manteau terni de cette cheminée
Un crucifix obscur, au-dessus de pots vides
Posés en rang d’oignons, gardait du buis fané
Qui fut un jour béni, et veillait, sainte égide,
Sur un bout de ventrèche et une tresse d’aulx,
Sur une vieille table en bois, je crois, de chêne
Sur une cruche en grès, pleine à ras bord, de l’eau
Fraîchie venue du puits et sur quelques noix naines.
Ōc, les murs grisés de la maison pénombrée,
Qu’on lavait à grande eau, gardaient de la poussière
L’amère sueur grise, exposant en chambrée
Les œuvres d’une tataranhe tracassière.
Diaple, tout était calme et pourtant animé :
Le concert des grillons mêlé aux cris des bêtes,
Ce que le vent chantait aux feuilles et aux ramées,…
Dans la paix de nos nuits, hululait une chouette.
La blouse et les sabots étaient à la besogne
Même quand le râteau restait au râtelier.
On avait la peine sereine et, sans vergogne,
Les pas menaient des champ aux bêtes, à l’atelier.
Depuis toujours, les jours coulaient ainsi, semblables,
Qu’écorchaient quelques fois la griffe du greffier,
Qu’endeuillaient ces départs qui aujourd’hui accablent,…
Le septième jour ne venait rien modifier !
Mémée, toujours entre cassoles et casseroles,
Confitures et confits, nous disait : “Que coulhous !”
Quand on faisait les piōts, nous, ses gafets, ses drōlles.
L’Ancien, sa sulfateuse et prou de “Mile Dious !”,
Traquaient doryphores, mildiou et pinces-oreilles,…
Ce temps-là sentait la lavande et le tilleul,
Les cerises étaient, pour tous, des boucles d’oreille
Et les roses roses la fierté de l’aïeul.
L’été passait, aíci, dans une fraîcheur sombre
Mais l’hiver ténébreux était bien chaleureux,
Pardi : les souvenirs inassoupis, en nombre,
Venaient rappeler les jours noirs, les ans heureux ;
Si, parfois, se posaient des lambeaux de silences
Ombrés sur les chaises paillées dépenaillées,
Les fripes défraîchies, l’Ancien faisait relance
D’un vieux chant patois au refrain encanaillé…
Dans cette ferme-là, on avait peu d’argent.
Lent, long, le temps passait, s’égrenait, immuable,
Et le pas du cheval donnait son rythme aux gens,
Aux jours qui se levaient matin, inéluctables…
Mais, fleuves impétueux, les vents fous vont et filent :
L’Ancien, Mémée partis, l’amandier abattu,
La ferme fut vendue à ceusses de la ville ;
On a loti des champs qui ne sont plus battus…
Désormais « la ville » est là. Partout, c’est fini :
Moissons et vendanges, l’accent, la lenga nostra,…
Tout n’est que souvenirs, mots et photos jaunies.
Il ne reste rien de nous autres, les rustauds.
Comme si tout se meurt et que le temps efface
La mémoire qui vit dans tous les noms des lieux :
Diable, grata un pauc de la belle surface
Des choses nouvelles, tu revois nos aïeux !
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