Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

dimanche 7 août 2011

LA FENÊTRE AVEUGLE

Petite fable affable
librement inspirée d’un proverbe yiddish

Dans une école de fourmis, la maîtresse
Évoque et dit l’importance d’amasser
Afin d’approvisionner la forteresse.
La plus petite des élèves massés
Lui demande pourquoi, alors que les Hommes
N’ont d’yeux que pour ce qui brille, or ou argent,
Et que le stocker semble le plus urgent,
Son peuple amasse des prunes et des pommes.
« Cette fable répondra à ta question
Dit-elle, bien mieux que cours ou suggestions :

Un jour, au pays des Hommes,
Un jeune Prince qui vivait, insouciant
Du monde et de ses arômes,
Demanda à un très vieux sage officiant
- Sur les ordres de son père -
À sa formation et son éducation : 
« L’argent, mon bon Théophraste,
Nous est des plus utiles pour toute action.
Mais est-il parfois néfaste ? »

Le vieil homme conduisit le Prince aux baies
Vitrées de sa vaste chambre.
Ces fenêtres, toujours closes, surplombaient
La ville aux toits couleur d’ambre
Et sa grand-place toujours si animée. 
« Que vois-tu donc, ô mon Prince ? 
- Des enfants qui jouent sous un ciel embrumé ;
Des goujats dont l’œil se rince
Aux appats des filles venues au lavoir ;
Ici, des hommes qui triment :
Tailleur de pierres, forgeron, porte-faix,…
Une femme qu’on opprime ;
Un vieux qui mendie, tout en haillons, défait,… »

Mais pendant qu’il énumère,
Le sage s’est éclipsé quelques instants.
Quand il revient, Bonne mère,
Il a un seau et un pinceau dégouttant.
« Qu’est-ce ? demande le Prince.
- Un vernis que j’ai fait, à base d’argent. »

L’homme, dans le froid qui pince,
Sort sur le balcon et couvre, diligent,
Tous les carreaux d’une couche
De son vernis, affairé et appliqué.
Mais le Prince prend la mouche
Lorsqu’il rentre, le labeur fini, chiquer.
« Ah, par ta faute il fait sombre !
Toi tu mâches, là, et moi je ne vois rien :
Ni silhouette ni ombre !
- Mais, mon Prince, mon tabac n’y est pour rien.
Allumez donc des chandelles !…
- Et à présent, que voyez-vous, Majesté ? 
- Mais ni ciel ni hirondelle,
Rien de la ville,… je peux t’en attester !
Je ne vois que mon image, 
Et rien d’autre,… Moi, moi, jusqu’à l’obsession ! 
- Alors, lui dit le vieux sage,
Tu as enfin la réponse à ta question ! »
Dans notre école de fourmis, la maîtresse
Rajoute : « La fable est-elle claire assez ? »
Là, le doigt de la plus petite se dresse :
« Je crois qu’elle dit que fortune amassée
Peut rendre l’Homme aveugle, ou bien c’est tout comme,
Qu’il n’a plus d’yeux que pour lui, et son argent,
- À ce qui l’entoure et des siens négligent -
Qu’il n’est plus un animal social, en somme. »

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