Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

mercredi 3 août 2011

LA JARRE FÊLÉE

Petite fable affable


Un brave paysan, du pays des Brahmanes,
N’ayant pas les moyens d’avoir un buffle, un âne,
Allait tous les matins jusqu’à une rivière,
En portant deux jarres en terre suspendues 
Après une pièce de bois particulière
 Épousant la forme de ses épaules nues.
Notre fermier allait, par les couverts, par les clairières.

L’une des amphores avait une blessure ;
Il fuyait des filets d’eau par cette fissure.
C’est pour cette raison que l’homme s’obligeait,
Tous les levers du jour, à deux ou trois voyages,
Perdant, à chacun d’eux, beaucoup. Sans ménager
Son temps ni ses efforts, malgré le temps et l’âge,
Il abreuvait ainsi maison et potager.

Bien au frais, une fois achevé leur office,
En jouant de l’anse, en béant de l’orifice,
Comme on se dispute, les vases discutaient.
Celui qui remplissait sa fonction, et sans faille,
Sa sœur, très abîmée pourtant, asticotait.
Être intact mais sans tact, oui, sans cesse il l’assaille 
Si sûr et fier de lui, dans la pluie, dans l’été,…
« Il n’y a de place, ici, que pour qui travaille
Bien et beaucoup. Pas pour qui est bon à jeter ! »
De tels propos blessent alors qu’on vous les baille
À dessein de meurtrir. Mais quand c’est un parent
Qui vous les sert ainsi, c’est plus que déchirant !

Or l’amphore fêlée s’en ouvrit à son maître :
« Il faudrait me briser ou bien m’envoyer paître,
Je me sens coupable et te prie de m’excuser.
- Pourquoi pleurer, amie, c’est chose singulière !
- Je suis toute honte : Vieille et bien usée,
Je fuis comme un panier. Et, des heures entières,
Par ma faute, tu vas et viens, à t’en user,
Doublant toute course jusqu’à cette rivière…
- Tu es bien abîmée, certes, reprit notre homme.
Avec moi tu n’as pu multiplier tes sommes
Car, depuis tant d’années, je ne t’épargne pas…
Amie pansue, il est bien vrai que tu ruisselles.
Cela mérite-t-il, pour autant, le trépas ?
Non. Tu ne serviras pas, non plus, de faisselle.
L’eau que tu sues, qui pleut, à chacun de mes pas,
Fait pousser tant de fleurs sur ton côté de route !
Oh, ni toi, ni ta sœur, ne les ont vues, sans doute.
Ma fille aujourd’hui, et feu ma femme avant elle,
Allant, matin, faire, au cours d’eau, ses ablutions
En cueille des brassées. De ces humbles mortelles,
Elle égaye sa vie, en toute discrétion
Embaume ma maison, Toutes ces bagatelles,
Qui nous font tant de bien, soit dit en confession,
Et, pourtant, ne coûtent presque rien comme telles…
Mon labeur, seul, ne peut lui offrir ces cadeaux.
Aussi que m’importent mes pas, mes bras, mon dos,… »

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