Petite fable affable
À Marcel Aymé
Même affaiblie la bête est dangereuse :
Lui faire confiance est chose malheureuse
Causant de périlleux rapprochements.
Pire, si on la pousse en ses retranchements !
Un loup, décrépit, s’en vint un peu trop près
D’un clos où paissaient des brebis. Messire
Le chien, gardien prêt à occire,
Le vit d’un très mauvais œil venir en son pré
Et s’interposa pour protéger le troupeau :
« Du balai, noble et triste Sire,
Si tu tiens à ta vieille peau !
- Pourquoi tant de haine ? lui demande le loup.
Vois donc mes dents rognées par l’âge,
Mes ongles qui ont besoin d’affûtage !
Tu risques bien moins de moi que du gabelou !
Je suis moins dangereux que tes agneaux.
Je souhaite juste un coin de paillage
Pour passer la nuit à l’abri des chemineaux.
- Pour qui me prends-tu, Scélérat ?!
Me croirais-tu sans mémoire ou stupide ?
Je saurai me faire intrépide
Pour te faire engraisser champ ou guérets.
N’est-ce toi qui, près de l’onde pure, croqua
Un agneau, après un procès rapide,
Juge et partie en tes arrêts ?!
- J’étais jeune : à faire gras, je ne balançais !
Mais, aujourd’hui, la chance se détourne
Et, quel que soit l’endroit où je séjourne,
Je fais face aux pierres lancées,
Par ceux qui me craignaient et qui de peur tremblaient…
Je ne l’ai pas volé. C’est ainsi : la roue tourne.
À mon tour d’être proie traquée ! »
Las, le chien mordit le jarret du loup
Qui s’enfuit à travers les ronces,
Après ce tout premier coup de semonce,
Vers une métairie sans gardien ni pastou.
Là, un bélier le reçoit de ses cornes.
Plus loin dans le soir, Ysengrin s’enfonce
Pour trouver un logis, sans compter pas et bornes.
À la mi-nuit, il vit taudis ruiné
Dont Corbeau et Furet avaient fait domicile.
Ils se firent dociles,
L’accueillirent. La nuit bruinait.
Avant de savourer un repos mérité
Le loup discute - il est facile ! -
De sa splendeur passée, tout dépité.
« Et le Chaperon Rouge ? fit Corbeau.
- Vous en êtes encore à ce vieux reproche ?…
Il est vrai qu’alors, j’aimais l’anicroche ;
En ce temps-là, j’étais fort et encore beau,…
Je n’ai pas réfléchi… Cela m’a coûté cher !
On ne me reprit plus à telle approche
Car vous savez combien j’en ai souffert ?!
- Blanchette, tu l’as bien croquée ?!
- Cette affaire provençale est bien triste.
Certes, je ne jouais pas là à l’herboriste
Mais c’est bien elle qui m’a attaqué
Et, toute la nuit, m’a chargé !
- En Gévaudan, dit-on, vous fûtes terroriste ?!
- On a exagéré :… j’étais déjà âgé !
- Delphine et Marinette… ? » dit Furet.
- Jamais je n’ai voulu tromper ces sottes…
Je les aimais bien, moi : j’aurais léché leurs bottes !
Alors, je commençais à changer. Vrai !…
Mais leur petit jeu a bien mal tourné…
Pourquoi décompte-t-on toujours mes fautes ?!
Pourquoi le couteau en plaie retourner ?!
Et Marlaguette ?!… On l’a vite oubliée !
De cochons, biquets, agneaux,… on me parle
Comme si j’étais le seul à en croquer, Charles !
On oublie mes bontés ou combien j’ai expié !…
N’ai-je pas droit d’avoir la paix, moi aussi ?!…
Or, ça me fatigue que de moi on déparle,
Mieux vaut croquer que se justifier ainsi ! »…
Ce qu’il fit,
Déconfit !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire