Cycle pyrénéen
Faux chant traditionnel bigourdan
La fille est assise au bord du gave.
La drolette garde ses moutons,
Songe à son goujat, un de ces Braves
Partis à la guerre en peloton
Par souhait de reine et vœu du roi.
À ces pensers son petit cœur cogne
Et ce chaud printemps lui paraît froid.
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
La pucelle, joues roses, front hâve,
Dans son petit cotillon de coton,
Rêve au gars parti chez les Bataves
Faire briller galons et boutons,
Les yeux humides de désarroi.
Elle en oublie le temps, sa besogne,
Le loup, l’ours et les oiseaux de proie.
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
Soudain résonne au pré un’ voix cave,
Ell’ vient de l’eau où un avorton
De crapaud, gros, laid et vieux, se gave
De bestioles avec l’air glouton
Et inspiré qu’ont parfois les cognes.
La bergère lui jett’ un œil sans émoi,
La bête reprend son chant d’ivrogne.
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
Elle ignore la bête qui bave
Sur ses attraits, sa min’ de chaton,
Et traverse alors le petit gave
En abandonnant son gueuleton.
Il arrive, piètre et maladroit,
Par-delà le torrent fou qui grogne
Jusqu’à quelque bloc de pierre étroit.
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
Parmi les sauges et les fleurs de raves,
Il lui offr’ des vers de mirliton
En couplets troussés, ceux qui vous lavent
Les yeux des chagrins à feuilletons,
Ceux des Don Juan qui se rencognent.
Elle abaiss’ ses yeux non sans effroi
Et, de prime, abord, dia, se renfrogne
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne
Faire des rêves plus grands que toi.
« Quand l’soleil revenu désenclave
Nos monts et libère les moutons,
Pourquoi chavirer comme une épave,
Le cœur à l’ancre pour un planton
Parti dans des pays de beffroi ?
L’hiver, dit l’autre vilaine trogne,
Ramén’ra ton goujat si adroit
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
Il est parti, libre et sans entrave,
T’oublier en faisant le zouave
Chez les Bretons ou chez les Lettons,
Te fuir jusqu’en pays scandinave
Conquérir des mers et des détroits.
Filles et femmes, là-bas, y rognent
Des cœurs plus durs et des corps plus droits
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi. »
Puis notre crapaud de sa voix grave
Dit qu’un sort fit de lui, rejeton
Du roi de ces monts et de ces gaves,
L’horrible animal pleins de boutons
Qu’elle voit, puant comme charogne.
« Le baiser d’une Beauté comm’ toi
Me rendrait forme et vie, ma Mignonne »
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
De ses lèvres chaudes et suaves,
La fille embrasse le rogaton.
Elle l’a mis, des contes esclave,
Sur son giron pour faire bon ton,
Au chaud, au creux, de sa p’tite pogne.
Miracle : le crapaud, laid et froid
Reste un crapaud, ma foi, corps et trogne.
Il n’faut pas, la Belle, sans vergogne,
Faire des rêves plus grands que toi.
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