« Au temps où les fleurs nous parfument,
Aux heures où l’on croit qu’on s’assume
J’étais, je crois, je crains, aussi belle que toi,
Libre d’aller par les douces brumes
D’une vie qui enivre, enfume,
Auprès d’un valet de cœur à l’humour courtois.
Et j’étais si fière, alors, d’être
Gracile, gracieuse et facile
Par peur, ma fille, de paraître
Frigide, fragile, imbécile,…
Mes amours avaient le pas léger : le cœur lourd,
Je les voyais fuir, dans un souffle
Furtif sans que le temps n’essouffle
Son haleine sur leurs traces, feutres et velours.
Je n’attirais que les maroufles
Que l’orgueil d’effeuiller boursoufle…
J’ai su tant de soirs las
Suivis d’aubes qui vous décillent.
Mais viens t’asseoir, oui, là,
Que je t’en dise plus, ma fille.
L’eau de mon diamant, mon bel ange,
J’ai offert, sans rien en échange !
Au temps où nous dure notre belle saison,
La chair choyée, au trouble étrange,
S’émeut peu de ce qui dérange
Le curé ou celles qu’il trousse en sa maison.
En bas sombres, avec mes bras d’ambre,
L’âme fébrile et frissonnante,
Dans ces ombres où les corps se cambrent,
J’ai aimé, folle ou prévenante,
Des passants inconstants. L’un d’eux me fit maman
Mais, bien marié, il se fit veule.
J’étais jeune ; je devins seule,
Fille perdue, catin condamnée aux tourments.
Tout le monde devint bégueule ;
J’accouchai au creux d’une meule.
Et j’ai su ce soir-là
Quel destin guettait cette fille,
Ta mère, gisant là,
Sous quelques étoiles gentilles…
J’essuyais tous les mots qu’on crache
Pour blesser, pour tuer, en lâche,
Chez les censeurs ou les furieux ; et, des frustrées,
Les sourires entendus qui fâchent.
J’incarnai tous les maux qu’on cache :
Dans la boue je restais pour m’y être vautrée !
Pis, on n’épargna à ta mère
Rien de l’opprobre ni des insultes :
La haine sourde des commères,
L’œil qui biaise des mâles adultes,…
Mais les intempéries d’une vie sans envie
Cessent un jour, sous nos ramures :
Malgré les dires et ma “souillure”,
Jean, qui fut ami jamais amant, fut ravi
De soigner nos égratignures.
Puis les murs murent les murmures…
Finis les soirs d’éclats,
De pleurs quand le cœur se fendille,…
Reste encore un peu là
Que je te dise encor’, ma fille.
Nous vivions heureux, dans la dèche
Car les fées sont têtues, revêches,
Avec celles que l’on ne doit pas épouser,
Leur gardant toujours une flèche…
Ta mère devint belle et fraîche,
Une rose enrouée de rosée, jalousée.
Elle se gardait bien des drôles
Qu’aux jonquilles un rien émoustille,
Dont les doigts, dont la voix vous frôlent
Et le regard vous déshabille.
Sans coquetterie ni fard, et mieux sans rouerie,
À l’âge où l’on porte un cartable,
Elle était déjà remarquable…
On la marqua, flétrie, elle, à peine fleurie.
Engeance née d’Éve et du diable,
Certains en firent une coupable !
Elle sut, ce soir-là,
Ce qu’on fait d’une enfant de fille.
Tu n’eus pas de papa.
Nous fûmes toute ta famille.
De l’enfance, tu te délivres
Avec une folle envie de vivre,
En pluies de lumières, en rythmes saccadés.
Ta fleur épanouie t’enivre
Et à tes “amis” tu la livres ;
Baisers de papillon et rires encascadés.
Tu es, peut-être, fière d’être
Gracile, gracieuse et facile
Par peur, ma fille, de paraître
Frigide, fragile, imbécile,…
Mais fais attention à ne pas trop provoquer !
Moi, mon buisson ardent se fane ;
Le tien, dans sa robe alezane,
Veut vivre sa vie sans la donner, la risquer…
Garde-toi des amours profanes
Des conquérants de courtisanes !
Tu auras des soirs las
Suivis d’aubes qui vous décillent.
Mais, va, restons-en là ;
Je ne t’en dis pas plus, ma fille… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire