Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

samedi 5 avril 2014

LE SALE PLEUREUR

Petite fable affable

Ce loup-là, Messieurs, impudent, imprudent,
Vivait dans l’antre où il avait mis les dents,
Tranquille, saignant la bourse de son père,
Éviscérant l’aumônière de sa mère.
Si la Vie, jusqu’ici, l’avait graffigné,
Il se disait écorché vif, résigné
À la vindicte de la malchance
Et au courroux de la Mort qui vite avance,
Comme ces gens qui, à l’arbre de leurs jours,
Ont effeuillé plus de malheurs qu’à leur tour.
Il courait par son val, fort de sa jeunesse,
Pour affronter maints dangers, avec simplesse,
Puis, en tristes pensées, dépensait ses nuits,
Et, en mots creux et vers, chantait son ennui :
Qui a tout, las, se plaint du peu qui lui nuit
Ou, pire, lui fault… et souvent à grand bruit !

Il n’était qu’insouciance et parlait souffrance ;
Il n’avait qu’aisance et vous peignait, fat, les transes
Nées de la misère et filles de la faim.
Lui qui rentrait au logis pour gloutir, sans fin,
Les fruits juteux de la chasse parentale !
Jour après jour, il voguait sur mer étale.
Mais l’hiver arriva, avec un gel fort
Propre à pierre fendre et donner malemort.
Le vent glacial vous pelait la couenne.
Le gibier s’encachotta comme un moine.
Il neigea tant et tant qu’on ne distinguait
Plus le chemin des labours, alors que gués
Et passes furent prisonniers de la glace.
Le deuil et le silence avaient toute place
Par les bois qui n’étaient qu’une blanche masse.
Oui, il faisait vraiment un temps dégueulasse !

Lors de cette saison, on dit qu’au saloir
On mit des enfants chez ceux qui font valoir
Qu’étant des Hommes, ils sont meilleurs que les bêtes.
Notre loup quitta, la queue comme la crête
Fort basse, le douillet terrier familial
Ayant jà abrégé, par amour filial,
La douleur de vivre de ses père et mère.
Il allait donc, ventre creux et lippe amère,
Par les monts et les vaux blancs sous leur manteau.
Il rencontra, matin, un ours peu pataud
« Ah fi ! dit le loup, la vie est une ordure !
- Elle vaut, fit l’autre, par ce qu’elle dure.
Ton expérience fait un tout, mais pour toi
Qui es plus lourd que moi qui suis gros, crois-moi !
Ton sort n’est point généralité, ma foi. »
Puis il le goba sans guère plus d’émoi.

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