Mosaïque de poésies prosaïques & de proses poétiques

parfois sous forme d'aphorismes, de chansons et surtout de fables…

jeudi 3 avril 2014

LE TOUTOU DÉLAISSÉ

Petite fable affable

Médor était corniaud. “Un chien deux races”,
Un bon corniaud, sans allure et sans grâce,
Souvent mal’engroin, parfois mal content
Du mauvais sort que font l’Homme et le temps
À sa fidélité et sa tendresse,
À coups de bâtons, au bout de la laisse.

Mais il ne pouvait rugir sans rougir,
Ni gronder sans s’excuser de mal agir
Tant il était doux avec son bon maître.
Quiet et coi, sachant toujours où se mettre
Pour être discret et prompt à servir
Ses desseins ou ses désirs assouvir.

Mais hélas le temps passe, casse et lasse :
Les meilleurs sentiments se font de glace.
On vendit pour moins de trente deniers
Ce croisé-bâtard aux crocs rognés
Par l’âge et au cul devenu trop large.
Il quitta l’antre dont il avait la charge,
- Peu heureux dedans… mais malheureux dehors -
Et, loin du maître ingrat, erra dès lors.

Il vécut de hasard et de rapine,
Jamais repu, toujours recru. « Câline
N’est pas la vie à l’ombre des cyprès !
Depuis que je prends du champ dans les prés,
Elle m’est rude et roide, sans vergogne,
Me traitant comme rebut ou charogne !

- Se peut ! dit une corneille perchée.
- Mais c’est ! fit le clebs, la tête penchée.
M’usant, jamais musant, j’étais docile
Compagnon, serviteur au domicile ! »
Et il raconta sa vie à l’oiseau
Qui l’écouta sous les branches en réseau.

Puis le chien se tut car tout était dit.
La corneille aussi mais elle, pardi, 
Parce qu’il y aurait beaucoup à dire
À qui croit, aujourd’hui, vivre le pire
De sa si pauvre vie, la larme à l’œil,
Et n’est, pas lent et las, que dol et deuil.
« Pardonne-moi de faire ma pédante,
Dit-elle, mais “il n’est pire douleur
Que de se rappeler, dans le malheur,
Les temps heureux” comme l’écrivait Dante ! »

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