À Voltaire.
Petit conte en prose
Petit conte en prose
Je ne suis ni trigaud ni chicaneur et sais la valeur des choses et plus encore du travail. Homme simple à la moralité exemplaire, mon père me légua une bonne terre qui me promettait un honnête parti s’élevant, bon an mal an, à quarante vertueux écus si elle était à rente et un peu plus si je la faisais moi-même fructifier. Par goût de l’effort plus que du lucre, j’optai pour la seconde voie et m’y installai comme éleveur, le gain espéré, ici, dans le grain étant plutôt maigre pour le coût. Je ne savais pas, alors, que guère n’ayant de trop j’allais, bientôt, ne plus avoir assez !
Quoique libre de fait et mien de droit, ce lopin était sous la juridiction d’un hobereau que je ne vis jamais. Pourtant son tabellion me réclama pécunes pour exercer dessus sa justice, dont les bons fruits pendaient à tous les arbres du lieu. Puis, pour pouvoir emprunter gratuitement ses routes qu’il me faudrait entretenir avec ses serfs ou passer ses ponts que je devais construire avec mes pairs, comme pour jouir de son four et de son fouloir dont je n’aurai point l’usage - faisant dans le mouton - il ne me rançonna que de dix écus l’an. Cens qui n’avait rien d’insensé selon les mœurs du temps ou quand on savait l’appétit de ses pairs. Avec cette simplicité qui sied aux simplets, le bedeau du chapelain du châtelain me mit à contribution : pour me permettre d’ouïr une messe à laquelle, en toute bonne foi, je n’allais pas et me dispenser des sacrements dont je n’avais cure, il m'en prit quatre pour l’année en cours, selon la coutume du pays qui voulait qu’on ne ferme point les yeux sur des pratiques blasphématoires qui sentaient l’impiété et donc devraient me faire tomber sous la divine main de l’Inquisition. Au risque de puer le soufre de l’autodafé, en toute conscience, pouvais-je ne pas défrayer de quelque argent, sans m’effrayer, cette bonne âme ?
Mais je n’avais pas fini d’allonger et de m’allonger. Le roi de mon seigneur dont j’ignorais jusqu’au nom, pour ses menus plaisirs et ses grandes guerres tailla dans mon pécule annuel pour en retrancher dix écus de plus mettant à nu de plus de la moitié le corps attendu de mon salaire total déjà fort amputé. N’ayant pas intérêt à refuser, je les bayais en bayant à son bailli à bail qui réclamait que je le payasse comptant. Je le fis, en monnaie sonnante et trébuchante, pas si content que cela mais que pouvais-je dire ou faire face à ses archers ? Je n’avais pas de famille à nourrir et mes bêtes pouvaient, s’engraissant un peu encore, l’herbe étant donnée par Dieu, me rapporter assez pour compenser un brin. Mon revenu éclopé déjà parti me reviendrait donc, alors, en partie. À moins d’écoper… or je n’avais pas fini d’arroser de mes liquidités.
Car c’était sans compter l’octroi de la ville où il me fallut conduire mes ouailles. Si je m’étais économisé le salaire d’un berger, suffisant par moi-même amplement à la tâche, je dus me résoudre au prix du tailleur de toison, aux charges du ramasseur de laine, aux faux-frais du boucher, à la gabelle du saleur, au dédommagement de l’équarrisseur qu’encombraient mes carcasses, à la marge du marchand,… soient quelques malheureux dix écus sur lesquels je n’aurais pas à pleurer car mon cheptel m’avait fait un bon… huit écus. Moins un pour l’hébergement chez un ami qui me faisait un prix digne de notre frairie pour un précaire logement et une autre pièce pour ma maigre repue mais qui fut prise à sa table. On ne carotte pas les gens qui vous sont chers. C’est un principe chez qui sait amortir ses frais alors qu’il prétend que peu lui en chaut que de vous donner sa chemise… si vous la lui payiez.
Le péage au retour se limita à un pillage infondé - on appelait cela une « fouille au corps » - de mon aumônière au prétexte qu’allant seul je semblais un errant vagabondant. Et parce que, dès lors, je n’avais plus un sou vaillant de mon maigre bénéfice, le guet me confia à la police car la charité ne s’exerçait que le dimanche au parvis de l’église… et que je n’avais pas fait l’aumône au prêtre du lieu du doit de m’y produire. En plus nous étions un lundi. Pour le dérangement des gens d’armes, l’usure des fers qui ont mordu mes poignets et griffé mes chevilles, pour le pain sec set l’eau croupie qui me fut servie avec parcimonie, j’en fus de quatre écus d’amende toutes taxes comprises. Le papier timbré qui officialisait mon passage infamant dans la geôle locale, deux écus, formalités d'enfermement et d'élargissement comprises ; les épices pour son rédacteur, un écu. C’était là honnête tarif pour une époque épique me dit-on. « La chance du débutant » sans doute ou ma modeste contribution à la formation d’un futur officier sans grever les finances publiques ; un acte citoyen, en somme. Et pas à taux fisc, car je ne manquais pas d’obole pour un manant, fils d’un peuple fripon et larron. Je sais cela ne vaut pas un louis de finesse. Mais dans ces moments-là, rire de ses maux plutôt que d’en pleurer vaut tout l’or du monde.
Quand je retrouvai enfin ma terre, elle était occupée par des forains qui en grevaient la moitié avec leurs roulottes et en crevaient le reste avec leurs rossinantes. Ils exigèrent, après moult marchandages et forces palabres, pour déloger, à titre d’indemnités, quatre écus d’or non rognés. C’était cela ou appeler une maréchaussée que j’avais déjà par trop vue. Je payai tribut à cette tribu de baraquins qui décampa non sans avoir saccagé mon bien même si je les avais régalés. Il me fallut raquer quatre autres écus pour le remettre en état de recevoir mon prochain cheptel car les agneaux que j’y avais laissés, fruits de mon premier troupeau, s’étaient apparemment égarés dans les ventres affamés des romanichels qui m’avaient quitté non sans être acquittés, eux.
Quand l’assureur du village, averti de mon malheur par je ne sais quel canal car il n’eut pas à me dédommager, vint réclamer son dû et ses arriérés j’en restai pantois. En effet, la loi du pays voulait qu’il ne fut de terre sans seigneur et exigeait qu’il ne soit de sol sans impôt, mais plus encore qu’il n’existât de champ qui ne fusse dûment garanti contre tous les risques naturels ou humains, du raz-de-marée au Déluge biblique, maux récurrents de nos contrées comme chacun sait. Et Justitia ne plaisantait pas avec la protection des biens et donc de leurs propriétaire : elle les soulageait plus de leurs deniers que de leurs malheurs, lesquels ne viennent jamais seuls contrairement aux premiers. J’en fus pour quatre écus de ma poche qui me paraissait plus percée que panier, heureux que le non-règlement des arriérés me soit gracieusement offert. Cracher au bassinet semblait un sport national mais c’étaient toujours les mêmes qui déboursaient !
Me retrouvant ruiné, moi qui ne fus jamais Crésus, je dus vendre mon petit patrimoine au détenteur du fief qui me le racheta généreusement, et sans barguigner, vingt écus flambant neufs. Parce que j’avais une bonne tête. Je ne sais de quoi mais comme j’y tenais, je ne discutai point. Sur la transaction, le bon roi pris sa quote-part se montant à une somme moitié moindre que celle de l’acquéreur ; et le clerc qui la gageait, avec son timbre, cinq de plus. Formalités administratives.
Délesté de tout, je dus prendre la route avec mes vieilles hardes, mon maigre baluchon et une fortune se montant à cinq pièces dont trois me furent arrachées, non sans violence, par des croquants vaguement caïmans, l’avant-dernière par de charitables vrais moines pour une nuit gracieusement proposée sur la paille de leurs chevaux, et l’ultime par un généreux mitron qui me vendit, malgré la mâle faim qui avait alors déjà gravé sur tout mon être les lauriers de sa prochaine victoire, un quignon racorni au prix d’une tourte aux viandes. S’il faut aider son prochain, charité bien ordonnée commence par soi-même et c’est avec les pauvres qu’on fait des affaires, ajouta-t-il en croquant en ma pièce. Des guignes me firent dessert. Tout un symbole.
C’est ainsi que je compris, dans les dents de la mort, que si labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France, ce ne sont pas ceux qui font gonfler ce pis-là qui en boivent le lait et encore moins goûtent la crème !
Quoique libre de fait et mien de droit, ce lopin était sous la juridiction d’un hobereau que je ne vis jamais. Pourtant son tabellion me réclama pécunes pour exercer dessus sa justice, dont les bons fruits pendaient à tous les arbres du lieu. Puis, pour pouvoir emprunter gratuitement ses routes qu’il me faudrait entretenir avec ses serfs ou passer ses ponts que je devais construire avec mes pairs, comme pour jouir de son four et de son fouloir dont je n’aurai point l’usage - faisant dans le mouton - il ne me rançonna que de dix écus l’an. Cens qui n’avait rien d’insensé selon les mœurs du temps ou quand on savait l’appétit de ses pairs. Avec cette simplicité qui sied aux simplets, le bedeau du chapelain du châtelain me mit à contribution : pour me permettre d’ouïr une messe à laquelle, en toute bonne foi, je n’allais pas et me dispenser des sacrements dont je n’avais cure, il m'en prit quatre pour l’année en cours, selon la coutume du pays qui voulait qu’on ne ferme point les yeux sur des pratiques blasphématoires qui sentaient l’impiété et donc devraient me faire tomber sous la divine main de l’Inquisition. Au risque de puer le soufre de l’autodafé, en toute conscience, pouvais-je ne pas défrayer de quelque argent, sans m’effrayer, cette bonne âme ?
Mais je n’avais pas fini d’allonger et de m’allonger. Le roi de mon seigneur dont j’ignorais jusqu’au nom, pour ses menus plaisirs et ses grandes guerres tailla dans mon pécule annuel pour en retrancher dix écus de plus mettant à nu de plus de la moitié le corps attendu de mon salaire total déjà fort amputé. N’ayant pas intérêt à refuser, je les bayais en bayant à son bailli à bail qui réclamait que je le payasse comptant. Je le fis, en monnaie sonnante et trébuchante, pas si content que cela mais que pouvais-je dire ou faire face à ses archers ? Je n’avais pas de famille à nourrir et mes bêtes pouvaient, s’engraissant un peu encore, l’herbe étant donnée par Dieu, me rapporter assez pour compenser un brin. Mon revenu éclopé déjà parti me reviendrait donc, alors, en partie. À moins d’écoper… or je n’avais pas fini d’arroser de mes liquidités.
Car c’était sans compter l’octroi de la ville où il me fallut conduire mes ouailles. Si je m’étais économisé le salaire d’un berger, suffisant par moi-même amplement à la tâche, je dus me résoudre au prix du tailleur de toison, aux charges du ramasseur de laine, aux faux-frais du boucher, à la gabelle du saleur, au dédommagement de l’équarrisseur qu’encombraient mes carcasses, à la marge du marchand,… soient quelques malheureux dix écus sur lesquels je n’aurais pas à pleurer car mon cheptel m’avait fait un bon… huit écus. Moins un pour l’hébergement chez un ami qui me faisait un prix digne de notre frairie pour un précaire logement et une autre pièce pour ma maigre repue mais qui fut prise à sa table. On ne carotte pas les gens qui vous sont chers. C’est un principe chez qui sait amortir ses frais alors qu’il prétend que peu lui en chaut que de vous donner sa chemise… si vous la lui payiez.
Le péage au retour se limita à un pillage infondé - on appelait cela une « fouille au corps » - de mon aumônière au prétexte qu’allant seul je semblais un errant vagabondant. Et parce que, dès lors, je n’avais plus un sou vaillant de mon maigre bénéfice, le guet me confia à la police car la charité ne s’exerçait que le dimanche au parvis de l’église… et que je n’avais pas fait l’aumône au prêtre du lieu du doit de m’y produire. En plus nous étions un lundi. Pour le dérangement des gens d’armes, l’usure des fers qui ont mordu mes poignets et griffé mes chevilles, pour le pain sec set l’eau croupie qui me fut servie avec parcimonie, j’en fus de quatre écus d’amende toutes taxes comprises. Le papier timbré qui officialisait mon passage infamant dans la geôle locale, deux écus, formalités d'enfermement et d'élargissement comprises ; les épices pour son rédacteur, un écu. C’était là honnête tarif pour une époque épique me dit-on. « La chance du débutant » sans doute ou ma modeste contribution à la formation d’un futur officier sans grever les finances publiques ; un acte citoyen, en somme. Et pas à taux fisc, car je ne manquais pas d’obole pour un manant, fils d’un peuple fripon et larron. Je sais cela ne vaut pas un louis de finesse. Mais dans ces moments-là, rire de ses maux plutôt que d’en pleurer vaut tout l’or du monde.
Quand je retrouvai enfin ma terre, elle était occupée par des forains qui en grevaient la moitié avec leurs roulottes et en crevaient le reste avec leurs rossinantes. Ils exigèrent, après moult marchandages et forces palabres, pour déloger, à titre d’indemnités, quatre écus d’or non rognés. C’était cela ou appeler une maréchaussée que j’avais déjà par trop vue. Je payai tribut à cette tribu de baraquins qui décampa non sans avoir saccagé mon bien même si je les avais régalés. Il me fallut raquer quatre autres écus pour le remettre en état de recevoir mon prochain cheptel car les agneaux que j’y avais laissés, fruits de mon premier troupeau, s’étaient apparemment égarés dans les ventres affamés des romanichels qui m’avaient quitté non sans être acquittés, eux.
Quand l’assureur du village, averti de mon malheur par je ne sais quel canal car il n’eut pas à me dédommager, vint réclamer son dû et ses arriérés j’en restai pantois. En effet, la loi du pays voulait qu’il ne fut de terre sans seigneur et exigeait qu’il ne soit de sol sans impôt, mais plus encore qu’il n’existât de champ qui ne fusse dûment garanti contre tous les risques naturels ou humains, du raz-de-marée au Déluge biblique, maux récurrents de nos contrées comme chacun sait. Et Justitia ne plaisantait pas avec la protection des biens et donc de leurs propriétaire : elle les soulageait plus de leurs deniers que de leurs malheurs, lesquels ne viennent jamais seuls contrairement aux premiers. J’en fus pour quatre écus de ma poche qui me paraissait plus percée que panier, heureux que le non-règlement des arriérés me soit gracieusement offert. Cracher au bassinet semblait un sport national mais c’étaient toujours les mêmes qui déboursaient !
Me retrouvant ruiné, moi qui ne fus jamais Crésus, je dus vendre mon petit patrimoine au détenteur du fief qui me le racheta généreusement, et sans barguigner, vingt écus flambant neufs. Parce que j’avais une bonne tête. Je ne sais de quoi mais comme j’y tenais, je ne discutai point. Sur la transaction, le bon roi pris sa quote-part se montant à une somme moitié moindre que celle de l’acquéreur ; et le clerc qui la gageait, avec son timbre, cinq de plus. Formalités administratives.
Délesté de tout, je dus prendre la route avec mes vieilles hardes, mon maigre baluchon et une fortune se montant à cinq pièces dont trois me furent arrachées, non sans violence, par des croquants vaguement caïmans, l’avant-dernière par de charitables vrais moines pour une nuit gracieusement proposée sur la paille de leurs chevaux, et l’ultime par un généreux mitron qui me vendit, malgré la mâle faim qui avait alors déjà gravé sur tout mon être les lauriers de sa prochaine victoire, un quignon racorni au prix d’une tourte aux viandes. S’il faut aider son prochain, charité bien ordonnée commence par soi-même et c’est avec les pauvres qu’on fait des affaires, ajouta-t-il en croquant en ma pièce. Des guignes me firent dessert. Tout un symbole.
C’est ainsi que je compris, dans les dents de la mort, que si labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France, ce ne sont pas ceux qui font gonfler ce pis-là qui en boivent le lait et encore moins goûtent la crème !
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