Petite fable affable
Un vieux brahmane était en cheville
Avec quelques braconniers
Car il aimait fort tout ce qui brille
Et coûte, quitte à renier
Les vertus de sa foi, de sa caste.
Il savait parler aux animaux,
Et connaissait bien la vaste
Forêt, milieu de peurs et de maux.
Autant qu’il était loisible,
Il traquait la bête recherchée,
Qu’elle fût féroce ou paisible,
Qu’elle courut, rampa, fût perchée,…
Il prenait langue avec elle,
L’amadouait jusqu’à endormir
La crainte de la gazelle,
La méfiance du lion à servir ;
Puis ses comparses, complices
Cachés sous le vent, se saisissaient
Sans guère plus de malice,
De la bête aux sens si émoussés.
Ses qualités, son travail
Toujours couronnés de réussite
Enflaient d’orgueil son poitrail,
Plus que cela ne le nécessite.
Il voulut aller plus loin :
Prendre des tigreaux avec leur mère,
Exercice, est-il besoin
De le dire, qui est la chimère
De tout chasseur ici-bas.
Il fallut pour trouver la tigresse,
Un mois. Pour qu’elle mît bas,
Une autre lune. Mais la bougresse
Semblait bien apprécier, chaque jour
Un peu plus, notre Brahmane.
Protégeant ses petits des vautours,
Il la nourrissait de manne,
Parlait à tous et les caressait.
Les petits forcissant, mère
Modèle, la tigresse lassée
Voulut chasser. Vœu sommaire.
L’homme y vit sa chance et son salut.
Il promit à notre fauve
De veiller, comme elle le voulut,
Sur les siens. Elle se sauve
Par les fourrés, les troncs en un bond.
L’Homme est seul. Un moment passe.
Ses amis, quand il le jugent bon,
Arrivent et là, entassent
En sacs, les petits de l’animal.
Ils surprendraient, c’est primaire,
La tigresse à son retour, sans mal ;
Ah, le désarroi des mères !
Las, la tigrée surgit vite
Et déchire nos trappeurs d’un coup.
C’est sa carte de visite.
Elle saisit le Brahmane au cou,
Et dit : « Tu m’as cru ta dupe.
J’ai feint de l’être, mon bon ami.
Qui est, dès lors, le plus dupe
De moi ou toi que j’ai endormi ?
Mes fils libres vont se plaire
À vous déguster, lâches capons :
Quel délice de se faire
Un larron qui se croyait fripon.
Ce sera leur première viande,
Et leur première leçon de vie :
Ne te fie mie à l’offrande
De ton ennemi, pour ta survie ! »
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