Tout le monde le sait : le nez de Cyrano
Est, pour ce fier gascon, comme un vrai tyranneau.
Mais si, faute d’avoir de l’esprit, quelque cuistre
Se croit obligé d’en faire, il lui administre
Quelques coups bien placés au rythme d’un placet.
Quant à la compassion, il en a plus qu’assez !
Ce nez c’est son orgueil, son blason et sa honte,
Sa seule déraison. Et personne ne compte
Les raseurs qui, jasant inconsidérément,
- L’entêtement leur tient souvent d’entendement -
Ont rendu l’âme sous les coups sûrs de sa lame…
Où est ce bellâtre qui fut, tout feu, tout flamme,
Ridiculisé par une épigramme, un mot ?
Il panse encore, la larme à l’œil, tous ses maux !…
Mordiou, panache au vent, il vit d’estoc, de taille,
La vie étant, pour lui, éternelle bataille.
Pour sûr, il fait payer, à tout fat, le bon prix
De l’honneur bafoué, d’aventure on m’apprit
Qu’étant un frêle enfant, l’affaire était toute autre :
Sa face sans grâce le fit mauvais apôtre,
Ce qui, vite, éloigna plus d’un autour de lui,
Fit rire en son pays, même les jours de pluie.
Face aux quolibets, il s’arma de virulence,
Face aux sobriquets, il en usa de violence.
Mais quand l’âge est tendre, le cœur l’est tout autant,
Même si on le tait au pays de l’Autan…
Ainsi, d’aube abîmée en brunes d’hébétude,
En silence, il bâtit unfort de solitude.
Cyrano, cavalier un brin caractériel,
Vécut au singulier tous ses rêves pluriels…
Puis dans sa vie entra Madeleine, si fine,
D’un parent quelque peu robin, jeune orpheline.
Ma foi, on l’accueillit alors comme nourrie ;
La pauvreté des siens à son malheur s’ouvrit
Et chez Bergerac on était hobereau : Dame,
L’aisance donne un cœur, la naissance offre une âme !
Son nez l’obsédait et elle s’en amusait,
Par des plaisanteries dont nul autre n’usait,
Avec une voix si douce et enchanteresse
Qu’elle aurait fait crouler plus d’une forteresse.
Mais quand elle parlait, il sentait à propos
La douleur de ses yeux, la couleur de sa peau.
Le ténébreux eut de l’esprit sous sa carcasse ;
De rondeaux en sonnets, il devint plus loquace.
Et si bien l’Amour rend aveugle, Il le fit sourd
Et des espoirs naissaient comme une source sourd.
Bergerac, craignant de fâcheuses conséquences
Pour son seul fils tout en élans, en éloquence,
L’envoya au loin, chez les Cadets, à Paris.
Là, il se fit un nom de duels en paris ;
Réputé, respecté pour sa dent si dure,
Il ne mâchait pas aux mots aux tristes figures
De tous ces nobles qui ne l’étaient que de nom :
Sa rapière épique faisait pis qu’un canon,
Mais on craignait aussi sa poésie lyrique
Et ses pamphlets vengeurs aux accents homériques.
Puis Madeleine, le destin ayant son pouls,
Se rendit à Paris pour y chercher époux…
Chacun de nous sait bien, ce qui alors arrive
Au bretteur dont le cœur était à la dérive…
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