UNE HISTOIRE DE MÉMOIRE

« Le passé est un oeuf cassé, l'avenir est un oeuf couvé. »

P. Éluard (1895-1952), Les Sentiers et les routes de la poésie, 1952

Ce monde  dérisoire où tout est illusoire

Perd en plus la mémoire et brade son histoire…

Mais

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans

Et cela emmerde tous nos bons gouvernants,

Qu’on évoque encore Soixante-huit, Spartakistes,

Gracques, Croquants, Nu-pieds, Canuts, Égaux, Trotskistes,…

Je cause des Gueux, des moissonneurs catalans,

Et me rappelle militants et Résistants,

Droits acquis et progrès social, Front populaire,…

Et toutes les révoltes et toutes les colères.

Car

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

À l’heure où le meilleur des mondes va rampant,

Reniant le C.N.R. des années victorieuses,

Que deviennent quatre-vingt neuf, les trois glorieuses ?…

Je me remémore ces anciens temps sanglants

Car la Liberté vous devient un faux-semblant,

L’Égalité un bel objet, un trait d’éloquence,

Et la Fraternité un mot sans conséquence.

Oui,

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

À l’heure où Big Brother n’a plus rien d’affolant,

On oublie Fronde, Dix-sept, Narbonne, Commune,

Insurgents, Demoiselles, niveleurs sans tune,

Damnés de la Terre,  Sans-Terre vacillants,…

Mais j’ai bien peur pourtant de faire, ici, chou blanc :

Qui sait que Zapata n’est pas un nom de cirque,

Et le Che Guevara un pays touristique ?

Or,

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans

Et cela emmerde tous nos bons gouvernants.

Ça les embrènerait, je crois, bien plus encore

Si, au lieu de vivre comme de lâches pécores

En ces temps chancelants, comme un troupeau bêlant,

Vous reteniez que, vous aussi, avez mille ans

Quand vous croisez ceux qui luttent, bande d’apôtres,

Pour eux et leurs enfants, pour vous et les vôtres

Dans ce pays dérisoire où tout est illusoire

Qui n’a plus de Mémoire et mutile l’Histoire…