PASSION ESPAGNOLE

Cycle historique
À A. Machado, R. Marti & F. Garcia-Lorca

Cette République fut condamnée à mort

Pour avoir libéré la plèbe de la glèbe,

Dégagé l’ouvrier des rênes et du mors.

Pour ses juges, fils de Rome, de Sparte et Thèbes,

Elle devait mourir car elle avait été

Porteuse d’espérance et fauteuse de rêves

De folle liberté, de vaine égalité

Qui n’auront pu vivre que le temps d’une trêve.

Sous le pied des soudards, sous le pas des chameaux,

Elle recula, mit souvent genou à terre ;

Elle se releva, sans penser à ses maux,

La dignité intacte et l’honneur salutaire.

Mais elle espérait que ses amies et ses sœurs

Ne laisseraient pas leurs valeurs jetées à terre,

Laveraient l’affront fait par tous ces agresseurs,

Aux cruautés sectaires, aux haines délétères.

La barbarie n’aurait jamais le dernier mot :

Porteurs de vains espoirs, d’aucuns vinrent à elle,

Venus des horizons lointains, prestissimo,

L’aidant à porter sa croix, lui donnant des ailes. 

Plainte et soutenue, en mots souvent pompeux,

L’opinion publique partout prit sa défense.

Si face aux bombes les paroles pèsent peu,

Sur place, opiniâtre, tout était résistance.

Mais elle recula prou quand Madrid tomba,

Puis Guernica croula, et les rives de l’Ébre,…

La lèpre blanche avait le dessus au combat ;

Lente, inexorable marche des plus funèbres.

Sûr, elle consolait tous ceux qui la suivaient :

Quand on a raison, par Dieu, toujours, on l'emporte,

Sur le noir choléra venu pour l’entraver,

Sur la peste brune et ses macabres cohortes !

République, meurtrie,  tu ne te remis pas

Du siège puis de la chute de Barcelone,

Que la Mort dut gagner rue à rue, pas à pas.

Ainsi, triompha Dieu et sa junte félonne.

Écrasé, pacifié, le vieux pays martyr,

Se dépouilla fils à fils, de bras et de têtes :

Avec leurs peurs, leurs pleurs, ils durent tous partir

Tous ceux qui n’étaient pas tués comme des bêtes.

Pour ceux qui sont restés ce fut le froid, l’effroi :

 Ordre policier et veille sacerdotale.

Ils n’avaient pas fini leur dur chemin de croix

Alors que les clochers d’Europe occidentale

Sonnaient le glas, mourrait qui avait des “idées” :

Le fusil, le garrot attendaient le poète

Et la torture les suspects, même amendés ;

On mettait au secret les penseurs, les prophètes,…

 Vaincue et humiliée par ces nouveaux croisés,

La crucifiée n’eut point à espérer d’obole,

Abandonnée de ses sœurs dévalorisées

De n’avoir vu, ici, au-delà du symbole.

L’Espagne fut mise au sépulcre par décret ;

Un tombeau plombé où longtemps l’espoir s’assèche.

Quarante ans durant, elle y dormit au secret

Dans l’ombre de la croix et du faisceau de flèches…